Un mystique bangladais affronte les démons grâce à la psychiatrie
Quand des familles tourmentées par des esprits malfaisants le sollicitent pour obtenir une protection, le mystique bangladais Syed Emdadul Hoque sait pourtant que ses prières seules ne pourront suffire à les apaiser.
M. Hoque conduit des exorcismes. Mais il contribue en même temps à briser les tabous sur la santé mentale dans ce pays d'Asie du Sud, où possession et surnaturel sont souvent invoqués pour expliquer les troubles mentaux.
Des centaines de personnes consultent chaque semaine le religieux respecté pour terrasser leurs démons.
Ils reçoivent la bénédiction de M. Hoque, puis une équipe d'experts juge avec tact si des soins psychiatriques sont nécessaires.
"Quand je deviens de nouveau conscient, je me sens bien", relate-t-il à M. Hoque.
Son oncle explique cependant que l'étudiant souffre de troubles dissociatifs préoccupants, attaquant et houspillant ses proches dans une langue méconnaissable.
"Ne t'inquiète pas, tu vas t'en sortir", le rassure M. Hoque en récitant des prières censées délivrer Rakib de cet esprit et l'aider à se concentrer sur ses études.
Le possédé est ensuite amené dans une pièce par Irfanul, le fils du religieux, où des bénévoles notent ses symptômes et ses antécédents médicaux.
"Nous pensons qu'il souffre de problèmes mentaux", décrit Irfanul à l'AFP. "Une fois que nous aurons pris ses coordonnées, nous l'enverrons chez un psychiatre qui lui prescrira des médicaments".
- Mystiques soufis -
M. Hoque, 85 ans, et son fils sont des fidèles de la tradition soufie, une branche de l'islam qui valorise le mysticisme et les dimensions spirituelles de la foi.
Ils descendent de l'un des chefs soufis les plus respectés du pays, dont M. Hoque a hérité du titre prestigieux de "Pir" qui le définit comme un mentor spirituel.
Leur ville natale de Maizbhandar est l'un des lieux de pèlerinage les plus populaires du Bangladesh. Chaque année, de gigantesques foules se rendent dans les sanctuaires érigés pour les ancêtres de la famille Hoque afin de solliciter leur bénédiction.
Leur foi tient une place ambiguë au Bangladesh, où les soufis sont régulièrement taxés d'hérétiques et de déviants par des tenants de la ligne dure au sein de la majorité musulmane sunnite.
Les mystiques soufis ont néanmoins un rôle de guérisseur profondément ancré dans la société rurale. Selon Irfanul, son père donne à ses visiteurs la possibilité de se libérer.
"Quand ils nous confient leurs angoisses et leurs problèmes, il devient plus facile pour nous de les aider", raconte-t-il. "Mon père remplit son rôle en les bénissant, puis la thérapie médicale commence."
M. Hoque est aidé de Taslima Chowdhury, une psychiatre de la ville de Chittagong.
"S'il ne m'avait pas envoyé les patients, ils n'auraient peut-être jamais consulté un psychiatre qualifié de leur vie", dit-elle à l'AFP.
"Grâce à lui, de nombreux malades mentaux bénéficient d'un traitement précoce et beaucoup sont guéris rapidement."
- Voile de silence -
Même si le Bangladesh a connu une forte croissance économique au cours des dix dernières années, l'accès aux traitements pour les crises de panique, l'anxiété et les autres troubles mentaux reste limité.
Et ce alors que la sanglante guerre d'indépendance de 1971 ainsi que les inondations, cyclones et autres catastrophes qui s'abattent régulièrement sur ce pays ont engendré un traumatisme généralisé et persistant, selon une étude du British Journal of Psychology publiée l'année dernière.
Selon la même publication, le Bangladesh compte moins de 300 psychiatres pour une population de 170 millions d'habitants. La stigmatisation des maladies mentales empêche souvent les personnes affectées de chercher de l'aide.
Selon une enquête menée en 2018 par les autorités sanitaires locales, près d'un adulte sur cinq au Bangladesh était atteint d'un trouble mental, mais 90% d'entre eux ne recevaient aucun traitement professionnel.
Selon les experts, le programme de M. Hoque pourrait devenir un moyen révolutionnaire de lever le voile du silence qui entoure la santé mentale, et encourager davantage de personnes à se faire soigner par des médecins.
"C'est remarquable, étant donné qu'au Bangladesh les problèmes mentaux sont considérés comme tabous", estime Kamal Uddin Chowdhury, professeur de psychologie clinique à l'université de Dhaka.
Le principal hôpital psychiatrique du pays a démarré un projet visant à former d'autres chefs religieux dans les villes rurales pour qu'ils suivent l'approche de M. Hoque.
"Ce sont les intervenants de première ligne", explique M. Chowdhury. "S'ils font passer le message que les maladies mentales sont guérissables et qu'être +possédé par un génie+ est une sorte de maladie mentale, cela peut faire une grande différence dans le traitement."
O.Rodriguez--HHA