Fragilisé sur les marchés, Ubisoft à l'épreuve de la grève
Fini de jouer chez Ubisoft: plusieurs syndicats appellent mardi les salariés à une grève de trois jours, la deuxième cette année, alors que le géant français du jeu vidéo traverse une passe difficile avec des ventes en berne et le report d'un jeu majeur, sur fond de rumeurs de rachat de l'entreprise.
Plusieurs piquets de grève seront tenus devant les différents studios de l'éditeur de jeux, notamment à Paris, Lyon, Montpellier et Annecy, après l'annonce par le groupe mi-septembre d'imposer au moins trois jours de présence au bureau par semaine.
"Ç'a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase", a expliqué à l'AFP Clément Montigny, délégué du Syndicat des travailleurs du jeu vidéo (STJV) au studio montpelliérain.
Dans un courriel envoyé à ses salariés, la direction a justifié cette décision en affirmant que "la créativité est stimulée par les interactions interpersonnelles, les conversations informelles et la collaboration autour d'une même table".
"Des gens ont été embauchés sur la promesse de trois jours de télétravail", fait valoir Clément Montigny, "et ça remet en cause toute l'organisation de leur vie. Potentiellement, ces gens-là doivent envisager de quitter l'entreprise, ce qui est inacceptable".
Les syndicats demandent également à la direction "un vrai effort salarial", rappelant qu'une première grève d'ampleur avait mobilisé plus de 700 salariés en février sur les 4.000 que compte l'entreprise en France - soit l'une des plus importantes mobilisations du secteur.
"On n'a pas eu de réponse de la direction", déplore Pierre-Etienne Marx, délégué STVJ chez Ubisoft Paris. "On va augmenter (la pression) jusqu'à ce qu'il y ait de vraies concessions", avertit-il, espérant atteindre cette fois le millier de grévistes.
De son côté, Ubisoft dit examiner "comment affiner (son modèle) pour mieux équilibrer les avantages du travail à distance et au bureau", après une première rencontre avec les syndicats mardi dernier.
- "Pas le succès escompté" -
Cette grève tombe mal pour le fleuron français des jeux vidéo, qui enchaîne les déconvenues depuis plusieurs mois.
"Ubisoft souffre d'un enchaînement de sorties (de jeux) qui n'atteignent pas le succès escompté", estime Oscar Lemaire, du site spécialisé Ludostrie, citant notamment "Skull and Bones" et le nouvel épisode de "Prince of Persia".
Fin septembre, son PDG, Yves Guillemot, a aussi admis que les premières ventes de "Star Wars Outlaws", sorti fin août, étaient "plus faibles que prévu", forçant Ubisoft à revoir en baisse ses objectifs financiers et à repousser de trois mois la sortie du prochain volet de sa série phare, "Assassin's Creed", pour laisser le temps à ses équipes de le peaufiner.
Une mauvaise passe sanctionnée sur les marchés financiers: l'action Ubisoft s'est effondrée de plus de 40% depuis le début de l'année, atteignant en septembre son plus bas niveau en 10 ans.
Début octobre, l'agence Bloomberg faisait également état d'un potentiel rachat d'actions par le géant chinois de la tech Tencent, qui possède déjà près de 10% de l'entreprise, et la famille Guillemot, actionnaire principal du groupe, pour sortir le groupe de la Bourse.
- "Ubi-bashing" -
Mais il n'y a pas que sur les marchés qu'Ubisoft est attaqué.
Sur les réseaux sociaux, ses jeux sont régulièrement la cible de critiques ou de moqueries, un phénomène désormais appelé "Ubi-bashing".
"C'est dur à quantifier mais l'idée qu'Ubisoft fait un peu toujours les mêmes jeux est assez répandue", note Oscar Lemaire, pour qui le "fonctionnement centralisé amène une forme d'uniformisation de tous les projets".
"Parfois, on a le sentiment que certains jeux qu'on produit seraient beaucoup mieux reçus s'il n'y avait pas le logo Ubisoft dessus", reconnaît Clément Montigny.
Des salves de critiques qui se transforment parfois en vagues de harcèlement visant certains développeurs, notamment lorsque des jeux mettent en avant des héroïnes (Kay Vess dans "Star Wars Outlaws") ou des personnages comme le samouraï noir Yasuke dans "Assassin's Creed Shadows".
Fin septembre, Yves Guillemot réagissait à ces "commentaires polarisés" en affirmant qu'Ubisoft restait "une entreprise de divertissement", dont "l'objectif n'est pas de promouvoir un agenda particulier".
H.Brunner--HHA