En Libye, une épidémie de fièvre aphteuse décime les élevages
Dans la ferme de Najmeddine Tantoun en périphérie de Misrata, grande ville commerçante de l'ouest de la Libye, le bruit des machines à traire a laissé la place à un silence sinistre dans les étables qui abritaient ses vaches, désormais quasiment désertes.
Une épidémie de fièvre aphteuse a décimé une bonne partie du troupeau de cet éleveur de Misrata, à 200 kilomètres à l'ouest de Tripoli.
"Sur 742 vaches, nous en avons perdu 300. Cette maladie a détruit nos moyens de subsistance", déplore-t-il. Pour le jeune éleveur de 27 ans qui s'est lancé il y a seulement trois ans, "l'avenir s'annonce sombre". "Chaque jour, nous trouvons une vache couchée. Elle ne tardera pas à mourir, généralement à cause de la fièvre."
La fièvre aphteuse est une infection virale très contagieuse qui touche les ruminants surtout les bovins, ovins et caprins. Souvent bénigne chez l'animal adulte qu'elle laisse généralement très affaibli, elle peut être mortelle pour les plus jeunes. Pour stopper sa propagation, l'abattage est souvent la seule solution.
L'épidémie a d'abord été signalée dans l'est en mars et a progressivement gagné l'ouest.
Dans la zone de Misrata, les petites exploitations sont les plus touchées, certains éleveurs signalant la perte d'environ 70% de leurs troupeaux.
"Nous allons vers une catastrophe", indique à l'AFP Salem al-Badri, 45 ans, directeur de l'Office de la santé animale à Misrata, venu évaluer la situation dans l'exploitation de M. Tantoun.
"La plupart des vaches de Misrata sont désormais infectées et nous n'avons d'autre choix que de les abattre pour endiguer l'épidémie", affirme ce vétérinaire.
Côté consommateurs, l'impact se fait sentir localement à travers une hausse du prix de la viande et des produits laitiers, et des pénuries épisodiques.
Selon M. Al-Badri, avant l'épidémie de fièvre aphteuse, la région de Misrata produisait environ 70.000 litres de lait par jour, mais la production est tombée à 20.000 litres par jour.
Il a déploré aussi une épidémie de dermatose nodulaire contagieuse (DNC), une autre maladie virale caractérisée par des nodules et qui mène parfois à la mort. Selon le responsable, "à cause de cette maladie, des pays qui importent des peaux de Libye craignent d'en acheter".
La propagation de ces maladies est accentuée, selon une alerte de la FAO sur la DNC qui a daté son arrivée en Libye à 2023, par des importations illégales d'animaux sans contrôle vétérinaire et leur déplacement d'une région à une autre, en plus d'une méconnaissance des symptômes chez certains éleveurs.
- Manque de réactivité -
Les éleveurs reprochent pour leur part aux autorités un manque de réactivité, particulièrement au stade de la prévention avec des retards dans le déblocage des fonds publics qui a ralenti la livraison de vaccins et sérums aux centres régionaux et l'action des services vétérinaires.
"Si les vaccins avaient été livrés en novembre dernier, nous n'en serions pas là. J'ai sollicité les autorités à plusieurs reprises pour nous livrer afin de sauver les élevages", déplore Salem al-Badri, appelant l'Etat à "fournir chaque année des vaccins aux éleveurs".
Sollicitées par l'AFP, les autorités à Tripoli n'ont pas réagi dans l'immédiat.
Avec l'appui de la FAO, les autorités de l'est et l'ouest de la Libye ont déployé des plans de vaccination et ont pris des mesures préventives après l'apparition des premiers foyers dans l'est.
Mais la Libye, minée par le chaos et la division depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, est confrontée à des difficultés chroniques d'organisation, avec deux exécutifs rivaux et parallèles, l'un à l'est, l'autre à l'ouest.
Dernièrement, l'activité de la Banque centrale de Libye (BCL) qui gère le budget de l'Etat et sa répartition aux régions a été ralentie par une grave crise de gouvernance et le blocage des exportations pétrolières, principale ressource du pays.
"Nous dépendons entièrement de ces animaux pour notre subsistance", souligne l'éleveur Tantoun pour qui "perdre un troupeau comme le sien est un désastre économique".
Le gouvernement doit "non seulement fournir les vaccins mais également nous indemniser", réclame M. Tantoun, dont la production a chuté de 15.000 litres à 3.500 litres par jour "au mieux".
Ali Ghabag, un autre éleveur de 40 ans, a jeté l'éponge: "plus personne ne veut continuer dans ce secteur. Les risques sont devenus trop grands et nous ne savons pas si nous allons surmonter cette crise".
F.Schneider--HHA