Faute de pluie, le Chili doit repenser son approvisionnement en eau
Le lac Peñuelas est l'une des principales sources d'approvisionnement en eau de la région de Valparaiso, dans le centre du Chili. Mais après douze années de faibles précipitations et le catastrophique hiver 2021, le plus sec jamais enregistré, il disparait irrémédiablement.
Seule une grande piscine résiste à une de ses extrémités. Alentours, des milliers de squelettes de silures et de carpes jonchent le sol, dépecés par des corbeaux, mouettes et hérons qui n'auront bientôt plus rien à pêcher.
"Beaucoup de réservoirs à eau n'ont pas pu se remplir, alors, année après année, ils perdent en volume (...) On le constate dans de nombreux aquifères de toute la région, les niveaux diminuent", déplore James McPhee, directeur du Centre avancé des technologies de l'eau du Chili.
Avec celui de Los Aromos rempli à 46% de sa capacité, soit 16 millions de mètres cubes, le lac Peñuelas est censé assurer l'alimentation en eau de près de deux millions d'habitants du Grand Valparaiso. Mais aujourd'hui la réserve d'eau du Peñuelas n'est plus que de 170.000 m3, soit 0,2% de sa capacité (95 millions de m3), selon l'entreprise locale de distribution et de traitement des eaux potables de Valparaiso (Esval).
La ville classée au patrimoine mondial sur les rives du Pacifique, à 120 kilomètres de Santiago, fait partie des 50% des municipalités du Chili officiellement déclarées en pénurie d'eau.
Dans ces 188 communes qui concentrent plus de 8,5 millions d'habitants (47,5% de la population) tant au nord qu'au centre et au sud du pays, des mesures contraignantes ont été prises : interdiction de prélèvements d'eau de surface ou souterraine et optimisation de la ressource dans l'agriculture. Dans les zones rurales les plus affectées par la sécheresse, l'eau est distribuée par des camions-citernes.
"Nous ne pouvons pas faire en sorte qu'il pleuve plus ou qu'il y ait plus de neige mais nous avons pris des mesures pour une meilleure gestion de l'eau", indique Cristian Nuñez, directeur adjoint de la Direction générale de l'eau, dépendant du ministère des Travaux publics.
- Trois autres décennies de sécheresse -
Dans l'hémisphère sud, le centre et le sud du Chili, mais aussi la Nouvelle-Zélande et Madagascar, connaissent un tiers de précipitations de moins qu'il y a 40 ans, selon l'expert en changement climatique de l'Université de Santiago, Raul Cordero.
Il juge "très probable que des hivers hyper-arides", tel celui de 2021 au Chili avec un déficit de précipitations de 75% et de près de 100% des chutes de neige, "se reproduiront beaucoup plus fréquemment" ailleurs.
"Ce qui a été fait jusqu'à présent est un appel à la conscience et à la bonne volonté, mais cela ne suffit pas (...) D'une manière ou d'une autre, nous ne devrons plus être dépendants des précipitations", estime M. Cordero.
La solution : "disposer d'un éventail d'options comme le dessalement de l'eau de mer, l'exploration des aquifères de roche fracturée, la réutilisation des eaux usées, eaux d'égout ou eaux grises, qui peuvent être utilisées pour certains usages", avance M. McPhee.
D'autant que "la situation n'est pas susceptible de s'améliorer à court et à moyen terme", alerte M. Cordero. "Nous sommes confrontés, au mieux, à une trentaine d'années au cours desquelles les précipitations pourraient continuer à diminuer".
Selon l'universitaire, "nous allons continuer à connaître un processus de désertification dans la zone centrale (du Chili), et la seule façon d'arrêter ce processus est de limiter les effets du réchauffement climatique, et la seule façon est que le monde, et pas seulement le Chili, abandonne les combustibles fossiles".
Car à l'échelle mondiale "les besoins en eau vont considérablement augmenter pour la consommation domestique" (toilettes, douche) en raison de la croissance démographique et l'urbanisation, prévient le Centre d’Information sur l’Eau (C.I.eau).
Mais surtout "d’autres besoins indirects vont également exploser, notamment ceux liés au secteur agricole", très gourmand en eau avec près de 70% de la consommation, loin devant l’industrie (20%) et les utilisations domestiques (10%).
L.Keller--HHA