Pérou: routes bloquées et rassemblements malgré l'Etat d'urgence
Des milliers partisans de Pedro Castillo convergeaient jeudi en milieu d'après-midi au centre de Lima pour un rassemblement, tandis que l'ancien président destitué attendait la décision de la justice sur la prolongation de sa détention, a constaté l'AFP.
Des millions de Péruviens manifestent depuis plusieurs jours dans le pays pour réclamer la libération du président de gauche radicale, en détention provisoire depuis sa tentative ratée de dissolution du Parlement le 7 décembre et sa destitution. Il est poursuivi pour "rébellion" et "conspiration".
Le ministère de la Santé a annoncé qu'une huitième personne était décédée depuis dimanche. Près de 200 personnes ont été blessées.
La mobilisation ne faiblit pas malgré l'état d'urgence décrété mercredi dans le pays pour trente jours par la nouvelle présidente Dina Boluarte, ex-vice-présidente de M. Castillo.
"Nous devons nous battre. Le président est Pedro Castillo", dit à l'AFP Milagros Quispe Diaz qui approche des abords du Parlement où se tiennent des rassemblements quotidiens depuis la destitution du dirigeant.
"Je suis une femme ignorante qui connaît ses droits. Nous ne sommes pas des terroristes. Le président est kidnappé. Il n'y a pas d'autre mot. Il n'y a pas de justice", a renchérit Lucy Carranza, une femme de ménage de 41 ans.
De nombreux policiers et membres des forces armées étaient visibles dans le centre de Lima ainsi que pour dégager des routes dans le sud du pays, a constaté l'AFP.
"Il faut une réponse énergique, autoritaire" face aux violences, avait lancé le ministre de la Défense Alberto Otarola, soulignant que la mesure comprenait "la suspension de la liberté de circuler et de réunion" avec "possibilité de couvre-feu".
Les protestations les plus fortes ont lieu dans le sud du pays, où cinq aéroports (Andahuaylas, Arequipa, Puno, Cuzco et Ayacucho) restent fermés.
Plus d'une centaine de routes sont également bloquées jeudi. Près de 2.000 camions de marchandises boliviens sont bloqués à la frontière avec la Bolivie.
Des centaines de touristes qui souhaitaient visiter le Machu Picchu, joyau touristique du Pérou, sont également bloqués depuis mardi. Le train reliant Cuzco et la citadelle inca est suspendu en raison des troubles.
"Nous avons des touristes et des résidents présents au Pérou", a indiqué jeudi Anne-Claire Legendre, porte-parole du Quai d'Orsay, qui appelle "les français à reporter tout déplacement non essentiel" au Pérou.
- "Pas de justice" -
Jeudi matin, un tribunal de la Cour suprême a examiné la demande du Parquet de placement en détention provisoire pour 18 mois de l'ex-président Castillo.
L'audience a été suspendue et le juge devrait annoncer sa décision à la reprise à 17H00 locales (22H00 GMT).
En détention provisoire depuis le 7 décembre, M. Castillo a crié mardi au complot, lançant : "je ne renoncerai jamais". Mercredi, dans une lettre publiée sur Twitter il a dit vouloir saisir la Commission interaméricaine des droits de l'Homme (CIDH).
Devant la caserne de police où est détenu M. Castillo, à Até (est de Lima), nombreux de ses soutiens campent et réclament sa libération.
Sa nièce, Vilma Vasquez, 42 ans, a dénoncé devant la presse l'absence de "justice".
"Dès le premier jour de sa prise de fonction et encore plus pendant la campagne, nous étions déjà des terroristes. Le jour où le président Castillo a pris ses fonctions, ils ne l'ont pas laissé gouverner, nous étions des voleurs, nous étions corrompus. Il n'y a pas de justice", a-t-elle dit.
Les adversaires du camp Castillo affirment qu'une partie de son soutien provient du Movadef, l'aile politique du Sentier Lumineux, la guérilla maoïste qui a fait des milliers de morts au Pérou dans les années 1980 et 1990. Ils les appellent des "terroristes".
Le pouvoir tente de faire respecter l'ordre par la force mais aussi d'apaiser le mécontentement en accédant à certaines des revendications des manifestants.
La présidente Dina Boluarte a annoncé vouloir à nouveau avancer le calendrier électoral "à décembre 2023".
Mme Boluarte, qui cristallise sur sa personne une partie du mécontentement, s'était déjà engagée dimanche à les avancer de 2026 à avril 2024, sans pour autant enrayer les protestations. Elle est elle-même concernée par la mesure : son mandat court théoriquement jusqu'en 2026, M. Castillo ayant été élu en 2021 pour cinq ans.
E.Borstelmann--HHA