A Izioum, le souvenir de la petite Nyka plane dans la cave d'Andriï
Pendant les longs mois d'occupation russe à Izioum, Andriï Plechane a recueilli jusqu'à soixante personnes dans sa cave. Parmi eux, il y avait Nyka, un bébé alors âgé de deux mois, dont la présence imprègne l'abri où vit toujours le sexagénaire.
Izioum, ville de l'est de l'Ukraine qui comptait quelque 45.000 habitants avant guerre, a été reprise par les forces ukrainiennes mi-septembre, et vit calmement depuis lors, contrairement à d'autres localités libérées plus proches de la ligne de front.
Pourtant, Andriï n'a pas quitté sa cave de quelque 70 m2, où il vit désormais seul avec ses chiens et chats.
"Je ne vous raconterai que si vous buvez un coup avec moi", lance le sexagénaire joyeux et bodybuildé en remplissant des petits verres d'une sorte de whisky fait maison et en coupant des tranches de fromage.
La cave, qui date du 19e siècle, a servi d'abri pendant la Seconde Guerre mondiale, explique cet ancien employé d'une compagnie de produits agricoles. Il l'a joliment aménagée. Des icônes religieuses, des peintures et un portrait du poète national Taras Chevtchenko sont accrochées aux murs. Un haltère et un punching ball traînent dans un coin.
Les produits pour bébé sont toujours posés sur l'étagère près du lit d'Andriï.
"Je suis devenu son parrain", raconte fièrement Andriï, qui se remémore avoir un jour été le seul à pouvoir apaiser et endormir le bébé hurlant alors que les explosions résonnaient dans le quartier.
Pendant tout le premier mois, les réfugiés ne sortent quasiment pas de la cave, trop dangereux. On réchauffe le biberon du bébé contre son corps, on s'éclaire à la bougie.
Les habitants de l'abri vivent dans la terreur des descentes des soldats russes, qui viennent régulièrement vérifier l'identité des hommes et les déshabillent pour voir s'ils n'ont pas de tatouages nationalistes sur le corps.
"On pouvait être tué à tout moment. Ces souffrances traversées ensemble nous ont unis", raconte Andriï.
- "Au printemps" -
Mais désormais, tout le monde est parti. Les réfugiés de l'abri se sont dispersés dans le pays, certains sont à l'étranger, en Allemagne, explique-t-il.
Nyka et ses parents sont restés deux mois dans la cave. "Mais les parents craignaient pour la santé de la petite, qui ne voyait jamais la lumière du jour. Ils ont réussi à partir pour rejoindre leurs proches à Koursk", une ville en Russie située non loin de la frontière ukrainienne.
Depuis la libération d'Izioum, Andriï leur a parlé au téléphone. "Je leur ai dit que je voulais les revoir vite, ils m'ont promis de revenir au printemps".
Andriï essaye de montrer une photo du bébé, mais elle ne se télécharge pas. Il se lève alors et va chercher deux pyjamas à pieds, un gris et un rose avec un lapin, qu'il étend sur le divan.
"Ceux là, je ne les donnerai pas", sourit l'homme qui continue à oeuvrer pour les habitants du quartier en distribuant de l'aide humanitaire ou en réparant les appartements endommagés.
Comme toutes les zones de l'est conquises par les Russes puis reprises par les Ukrainiens, sa ville présente le même visage ravagé, des immeubles à moitié détruits aux façades criblées d'éclats ou noircies par la fumée.
Surtout, le nom d'Izioum s'inscrit dans la longue litanie des horreurs vraisemblablement commises par l'armée russe. Après la reprise par les troupes ukrainiennes, des chambres de torture ont été découvertes, et, dans la forêt avoisinante, plus de 440 tombes et une fosse commune ont été retrouvées.
Les dépouilles ont toutes été exhumées pour être identifiées et pour déterminer les causes de la mort, les autorités ukrainiennes soupçonnant des crimes de guerre.
Le visage souriant d'Andriï s'assombrit. "Avant, on vivait bien à Izioum. C'était une jolie ville, on chassait, on pêchait, on allait ramasser les champignons".
"Maintenant, dès qu'il y a un bruit inattendu on se demande ce qui se passe. Hommes, enfants, animaux, on a tous peur".
I.Hernandez--HHA