Le film d'une semaine délirante au Congrès des Etats-Unis
Mieux qu'à Hollywood, le Congrès des Etats-Unis vit une semaine folle qui a débuté comme une comédie familiale, avant de prendre des accents de drame burlesque, puis de thriller dont le dénouement reste en suspens à l'approche du week-end.
Le scénario fonctionne sur un ressort assez classique: une procédure routinière -- l'élection du chef de la Chambre des représentants -- déraille après l'introduction d'un grain de sel -- une vingtaine d'élus trumpistes.
Mais il est original: jamais au cours des 160 dernières années n'est-il arrivé que les élus de la Chambre votent treize fois de suite sans parvenir à élire leur "speaker".
- Le bébé et le chien -
Tout a débuté mardi dans une ambiance festive: les représentants élus en novembre doivent prendre leurs fonctions pour la première fois. Ils ont convié leurs proches qui, du balcon, applaudiront quand ils prêteront serment.
Mais le règlement prévoit qu'avant toute chose, ils choisissent le président de la Chambre. Le républicain Kevin McCarthy est censé décrocher le rôle, son parti ayant regagné, de peu, la majorité dans cette enceinte.
Sauf qu'une poignée d'irréductibles, représentant la droite de la droite, refusent de lui donner leurs voix, lui reprochant pèle-mêle d'être trop timoré, pas assez solidaire de Donald Trump, d'incarner le "système" ou de ne pas avoir de convictions.
Les votes s'enchaînent mais personne ne décroche la majorité nécessaire. Les familles en profitent pour visiter Washington. Certains enfants descendent dans l'hémicycle, mais semblent s'ennuyer ferme.
Le démocrate Jimmy Gomez garde son bébé de 4 mois avec lui. Il déclenche des rires complices en votant avec le petit Hodge cinglé sur son ventre. Jeudi, la républicaine Nancy Mace vota elle avec son chien Libby sous le bras.
- Popcorn et alcool -
Entre-temps, l'ambiance a viré à l'absurde. D'ordinaire, les séances à la Chambre sont régies par des règles strictes qui interdisent évidemment les chiens, mais aussi de critiquer nommément un autre élu, de spéculer sur ses motivations, de le huer...
Mais ces règles doivent être adoptées après le vote du "speaker". Profitant de ce vide, les élus s'en donnent à coeur joie. La républicaine Kat Cammack décroche la palme en accusant les démocrates d'avoir apporté "du popcorn, des couvertures et de l'alcool" pour profiter du spectacle.
Au milieu de cette agitation, la greffière Cheryl Johnson s'évertue à rappeler que son rôle est de faire respecter "l'ordre et le décorum jusqu'à l'élection du speaker". Sans grand impact sur les plus turbulents.
"J'adore ça!", lâche la républicaine rebelle Lauren Boebert, pour qui ce chaos est la marque d'une démocratie saine.
Pas convaincus, un nombre croissant d'élus manifestent leur exaspération face aux votes qui s'enchaînent mécaniquement: la démocrate Maxine Waters souffle éhontément, des républicains quittent la séance lors d'un discours du trublion Matt Gaetz...
- Palabres -
Dans cette confusion, des tractations s'engagent peu à peu, alimentant toutes les spéculations.
Les caméras de la chaîne parlementaire C-Span, exceptionnellement autorisées à filmer dans les moindres recoins, captent l'élue de gauche Alexandria Ocasio-Cortez en grande discussion avec le républicain Paul Gosar. En 2021, il avait pourtant posté une vidéo d'animation le montrant en train de la tuer. Elle confiera ensuite à la presse qu'il cherchait à savoir si les démocrates envisageaient d'aider McCarthy.
Le républicain George Santos, snobé mardi par ses pairs parce qu'il a menti sur son CV pendant sa campagne, profite de ce climat de palabres pour sortir de son isolement.
Vendredi, après une nuit de tractations, des élus républicains prient au pied du perchoir, dans l'espoir que la situation se débloque.
A la reprise de séance, Kevin McCarthy s'agite en coulisses. Il ne cesse de quitter son siège pour discuter dans les galeries adjacentes à l'hémicycle. Ses efforts semblent porter de premiers fruits, une quinzaine d'élus rentrent dans le rang.
En milieu d'après-midi, la séance est ajournée, il ne lui manque qu'une poignée de voix.
A suivre.
M.Schneider--HHA