Retraites: le gouvernement sous pression à la veille d'une première grève
La grève contre la réforme des retraites et le report de l'âge légal à 64 ans s'annonce très suivie jeudi, notamment dans l'éducation et les transports, malgré les efforts du gouvernement pour défendre son "projet de justice".
Manifestations, écoles fermées et trains au compte-goutte: la France s'apprête à vivre une journée mouvementée. "Un jeudi de galère", comme l'a résumé le ministre des Transports, Clément Beaune, avant même que ne tombent les prévisions de trafic.
Pronostic confirmé par la SNCF, qui prévoit une circulation "très fortement perturbée" avec un TGV sur trois, voire un sur cinq selon les lignes, et à peine un TER sur dix en moyenne. Le métro parisien sera également réduit à l'essentiel, avec trois lignes fermées, dix autres ouvertes "uniquement aux heures de pointe" et un "risque de saturation" sur les trois dernières, selon la RATP.
Le ciel ne sera pas épargné, puisque 20% des vols devraient être annulés à l'aéroport d'Orly, où "des retards sont à prévoir" pour les liaisons qui seront maintenues, a prévenu la DGAC.
Ceux qui opteront pour la voiture pourront encore trouver du carburant, même si les raffineries et les dépôts pétroliers sont appelés à cesser leurs activités pendant 24 heures.
Beaucoup devront cependant garder leurs enfants, car 70% des enseignants du primaire seront en grève et de nombreuses écoles entièrement fermées - "au moins un tiers" à Paris - d'après leur principal syndicat, le Snuipp-FSU.
Dans le secondaire aussi, "on s'oriente vers une grève très suivie", indique le Snes-FSU. Des blocus de lycées sont notamment attendus, plusieurs organisations de jeunesse appelant à rallier la journée d'action organisée par les huit grandes centrales syndicales.
Reconnaissant qu'il était impossible de prévoir quelle serait la hauteur de la mobilisation dans le privé, le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, a toutefois anticipé mercredi sur France 2 qu'il y aurait "dans certains grands groupes, des taux de grévistes qui vont avoisiner les 60, 70%", et souhaité un mouvement reconductible "partout où c'est possible".
- voix discordantes -
Unies pour la première fois depuis douze ans, celles-ci prévoient des rassemblements dans plus de 200 villes et espèrent une mobilisation "massive" dépassant "le million" de manifestants. Une jauge symbolique qui donnerait de l'élan à un mouvement social appelé à s'inscrire dans la durée.
La police met sans surprise la barre moins haut: plusieurs médias ont fait état d'une note des Renseignements territoriaux tablant sur une fourchette de 550.000 à 750.000 manifestants, dont 50.000 à 80.000 dans la capitale.
Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a annoncé mercredi que plus de 10.000 policiers et gendarmes seraient mobilisés, dont 3.500 à Paris, où les autorités s'attendent à la venue d'"un petit millier" d'éléments qui pourraient être violents, selon lui.
Face à cette large contestation, le gouvernement s'emploie à défendre sa réforme, à l'image de la Première ministre, Elisabeth Borne, vantant à l'Assemblée nationale "un projet de justice" et affirmant que "quatre Français sur dix, les plus fragiles, les plus modestes, ceux qui ont des métiers difficiles, pourront partir avant 64 ans".
Ou de son ministre du Travail, Olivier Dussopt, prenant le relais dans l'Hémicycle pour promouvoir la hausse des petites pensions - "nous protégeons le pouvoir d'achat des plus âgés" - clé d'un accord politique avec la droite.
Des arguments qui peinent à convaincre l'opinion, que les sondages montrent toujours majoritairement opposée au report de l'âge légal.
Une centaine d'artistes et d'intellectuels, parmi lesquels Annie Ernaux, prix Nobel de littérature, la comédienne Adèle Haenel ou l'écrivain Nicolas Mathieu, ont signé une tribune dans l'hebdomadaire de gauche Politis pour dénoncer une réforme "archaïque et inégalitaire".
Même au sein de la majorité, des voix discordantes s'élèvent, comme celle du député Patrick Vignal: "Si ça n'évolue pas, je ne voterai pas cette loi". Sa collègue Barbara Pompili non plus ne "pourrai(t) pas voter pour", car "à ce stade" le projet comporte trop d'"injustices sociales".
Des doutes qui contrastent avec l'unité affichée par l'opposition de gauche, dont les leaders réunis en meeting mardi soir ont exhorté leurs troupes à "faire trembler les murs de l'Elysée".
A.Roberts--HHA