Pérou: violents heurts lors du grand rassemblement à Lima, la présidente appelle à une "trêve"
La présidente péruvienne Dina Boluarte a appelé mardi à une "trêve nationale" alors qu'à Lima, une nouvelle grande manifestation réclamant son départ a été le théâtre d'affrontements violents.
La mobilisation ne faiblit pas avec une journée nationale de protestation et des marches programmées mardi dans de nombreuses villes du pays.
A Lima, plusieurs milliers de protestataires venus des régions andines -- pauvres --, beaucoup en tenue traditionnelle, ont défilé dans le centre, munis de drapeaux péruviens et aux cris de "Dina assassine", en référence aux 46 personnes tuées depuis le début de la contestation en décembre.
D'importants heurts ont lieu en fin d'après-midi et en soirée entre manifestants, dont certains équipés de boucliers en fer, qui jetaient des pierres, et policiers en nombre qui chargeaient avec des tirs de gaz lacrymogène, ont constaté des journalistes de l'AFP, qui ont assisté à des arrestations.
Deux photographes, dont un de l'AFP, ont été touchés par des plombs et des pierres.
- "Pas de trêve!" -
Avant ce grand rassemblement, le deuxième à Lima en quelques jours, Mme Boluarte avait une nouvelle fois tenté de désamorcer les tensions, appelant sa "chère patrie à une trêve nationale" pour "rétablir le dialogue", "fixer un agenda pour chaque région" et "développer" le pays.
"Je n'ai pas l'intention de rester au pouvoir", a-t-elle promis, assurant vouloir respecter la Constitution et se retirer lors des élections avancées à 2024.
Visiblement émue, Mme Boluarte a aussi demandé "pardon pour les morts", promettant des enquêtes pour en déterminer les auteurs.
Une intervention sans effet sur les manifestants.
"On a écouté Madame Boluarte. Sa vision est lamentable. Le peuple péruvien, nous tous, nous n'allons pas faire de trêve. Nous n'avons rien à discuter avec Mme Boluarte. La seule chose que le peuple veut, c'est qu'elle démissionne et qu'il y ait de nouvelles élections", affirme Carlos Avedano, 35 ans, arborant le drapeau tricolore de Andahuaylas, épicentre des troubles en décembre.
"On ne croit plus ses paroles", dit Rosa Soncco, 37 ans, venue d'Acomayo, à plus de 3.000 mètres d'altitude, dans la région de Cuzco (sud). "Il y a 50 morts. Combien de mères pleurent?"
"On exige: un, qu'elle démissionne; deux, changer de Congrès; puis de nouvelles élections. On veut un gouvernement de transition", affirme-t-elle.
Une manifestante brandissait une grande poupée tenant un couteau ensanglanté, affublée d'une photo de la présidente par intérim, arrivée au pouvoir après la destitution début décembre de l'ex-président de gauche, Pedro Castillo.
Dans le cortège défilaient des dizaines de réservistes de l'armée portant des pantalons, des casquettes ou maillots kaki. "Les maudits (dirigeants) nous piétinent depuis des décennies mais maintenant le peuple s'est levé", affirme Crispin Quispe, réserviste de la région de Puno. "Nous avons combattu, en ayant faim, en ayant froid. Sans être payés, et maintenant ils nous piétinent. Nous sommes prêts à tous les combats", jure-t-il.
En soirée, les autorités ont annoncé la fermeture de l'aéroport de Cuzco, capitale touristique du pays, s'ajoutant à celles des aéroports de Puno et d'Arequipa.
- "Irresponsabilité" -
Les troubles ont commencé le 7 décembre après la destitution et l'arrestation de M. Castillo, accusé d'avoir tenté un coup d'Etat en voulant dissoudre le Parlement qui s'apprêtait à le chasser du pouvoir.
Mme Boluarte, son ancienne vice-présidente et colistière aux élections de 2021, l'a attaqué verbalement.
"Cela l'arrangeait de faire ce coup d'Etat afin de se poser en victime (...) et de ne pas répondre devant le procureur des actes de corruption dont il est accusé. Il n'y a pas de victime ici, M. Castillo: il y a un pays qui saigne à cause de votre irresponsabilité", a-t-elle lancé, soulignant avoir les mêmes origines modestes et andines que lui.
La crise reflète l'énorme fossé entre la capitale et les provinces pauvres, qui soutenaient M. Castillo et voyaient son élection comme une revanche sur ce qu'elles considèrent être le mépris de Lima.
Mme Boluarte doit s'exprimer mercredi devant l'Organisation des Etats américains (OEA) alors que la communauté internationale et des associations de défense des droits de l'homme ont critiqué un usage "disproportionné" de la force par la répression.
"Je me présenterai devant l'OEA pour dire la vérité. Le gouvernement péruvien et surtout Dina Boluarte n'ont rien à cacher. Cinquante personnes sont mortes (en ajoutant les morts dus au blocage des routes, ndlr), cela me fait mal", a-t-elle dit.
O.Zimmermann--HHA