En RDC, qui attend le pape, église catholique rime avec politique
Au regard du fort engament historique de l’Église catholique dans la politique en République démocratique du Congo, les Congolais espèrent du pape, attendu le 31 janvier à Kinshasa, un message pour des élections vraiment démocratiques.
La prochaine présidentielle est prévue le 20 décembre de cette année. L'actuel chef de l’État, Félix Tshisekedi, qui a succédé à Joseph Kabila après des élections controversées organisées fin 2018, sera candidat à sa succession.
"Le pape va sûrement dire un mot pour inciter les acteurs politiques à bien organiser les élections", espère Adolphine Mulanga, étudiante kinoise de 21 ans. "Peut-être qu'il peut apporter des conseils pour leur bon déroulement", déclare aussi à l'AFP Toms Kinkela, coopérant de 35 ans.
"Une exhortation de sa part pour la tenue d’élections crédibles, transparentes et inclusives (...) serait la bienvenue", disait même dès décembre au site d'information religieuse La Croix Africa Mgr Donatien Nshole, secrétaire général de la Conférence des évêques du Congo (Cenco).
Depuis l'époque coloniale, l’Église catholique a toujours eu en RDC une "ascendance morale, qui fait qu'elle demeure une sorte de recours pour les grandes questions d'intérêt national", analyse pour l'AFP le politologue congolais Christian Moleka.
Elle joue souvent le rôle de "contre-pouvoir", et la voix des évêques fait écho bien au-delà du cercle des catholiques qui, selon des estimations, représentent environ 40% (49% selon le Vatican) des quelque 100 millions d'habitants de RDC.
Très tôt, elle s'est rapprochée de l'élite locale, de sorte que les premiers pères de l'indépendance sont sortis des cercles de réflexion créés autour de l’Église catholique.
Cette intervention permanente de l'église dans la vie politique a régulièrement provoqué des tensions entre elle et les différents régimes qui se sont succédé depuis l'indépendance en 1960.
En 1974, sous le règne du dictateur Mobutu (1965-1997), le caractère laïc de l’État est inscrit dans la Constitution.
Mais l'église du Zaïre (ancien nom de la RDC), à travers ses évêques, a continué à jouer un rôle de premier plan, parvenant dans des périodes critiques à imposer un consensus au niveau national.
- "Incontournable" -
Lors de la période trouble des années 90, Mgr Laurent Monsengwo, alors archevêque de Kisangani (nord-est), a été au centre des négociations politiques ayant ouvert le pays au multipartisme.
En 2006, pour les premières élections présidentielles démocratiques au Congo, l'église a dirigé la commission électorale nationale indépendante et assuré l'observation électorale.
Dix ans plus tard, en 2016, à la fin du deuxième mandat de l'ancien président Joseph Kabila (2001-2018), c'est encore l'église qui va accompagner le peuple pour exiger le respect du délai constitutionnel dans l'organisation de nouvelles élections.
La répression des manifestations initiées par des mouvements proches de l'église a fait des dizaines de morts à travers le pays.
La critique des résultats de la présidentielle de décembre 2018 puis la polémique autour de la désignation d'un des proches de Félix Tshisekedi à la tête de la commission électorale ont jeté un froid entre le régime actuel et l'épiscopat.
L'église irrite le pouvoir, mais elle est "un partenaire incontournable" de l’État, en raison de son "ancrage sociologique important", par le biais notamment de l'éducation, affirme Christian Moleka. "L’État est tenu de prendre en compte ce partenaire-là", même si parfois ses prises de position frustrent ses intérêts.
Dans un pays marqué par un demi-siècle de régime autocratique, "où les contre-pouvoirs traditionnels ne sont pas assez forts", l'église fait barrage aux "sirènes de l'autoritarisme qui tente tout le temps la classe politique congolaise", poursuit le politologue.
Jusqu'à présent, l'église, "autorité morale", a tenté d'influencer "dans le sens des valeurs qu'elle incarne et des idées qu'elle porte qui, parfois, dérangent les intérêts politiques".
Mais elle "n'a jamais voulu diriger". D'ailleurs, prise "dans les jeux de pouvoir", il vaut mieux qu'elle "garde une certaine neutralité", ajoute-t-il. Les Kinois n'attendent pas du pape qu'il leur dise pour qui voter, mais qu'il pèse en faveur d'un scrutin libre et transparent.
Un séminariste interrogé à Kinshasa ne pense lui pas que le pape parlera publiquement des élections. "Cependant, comme chef de l’État, il abordera sûrement la question en privé avec son homologue", estime-t-il.
J.Berger--HHA