Retraites: à Paris, des forces de l'ordre discrètes et des débordements encore contenus
Policiers et gendarmes moins visibles, dialogue renforcé avec les syndicats, violences limitées: à Paris, les premières manifestations contre la réforme des retraites témoignent d'une inflexion du maintien de l'ordre, selon des observateurs qui se montrent cependant prudents sur la suite du mouvement.
Arrivé en juillet 2022, le nouveau préfet de police, Laurent Nuñez, se frotte à ses premières manifestations d'ampleur.
Et sa gestion des cortèges a valeur de test, après des années de critiques à l'égard du maintien de l'ordre dans la capitale, avec de nombreux blessés parmi les manifestants.
Juste après le départ de Didier Lallement, réputé pour son approche musclée du sujet, le nouveau "PP" avait pourtant prévenu: "il n'y aura pas de remise en cause de la gestion de l'ordre public".
L'ancien secrétaire d'Etat à l'Intérieur, qui a tenu la plume pour rédiger l'actuel schéma national du maintien de l'ordre (SNMO), étrenné par son prédécesseur, ajoutait qu'il entendait "évidemment l'appliquer".
Mardi, lors de la troisième journée de mobilisation, policiers et gendarmes étaient positionnés à plusieurs rues du cortège.
Ils n'étaient pas visibles, ni leurs véhicules, mêmes dans les rues adjacentes, a constaté une journaliste de l'AFP.
Mais, dès qu'une vitrine était prise pour cible, une colonne de forces de l'ordre surgissait pour empêcher les dégradations et interpeller, usant parfois de gaz lacrymogènes pour sécuriser leur retrait.
Une stratégie qui a permis jusqu'à présent de contenir les débordements et de limiter le nombre de blessés, à l'exception notable d'un homme amputé d'un testicule après avoir reçu un coup de matraque le 19 janvier.
Au moment de la dispersion, "avec l'ancien préfet de police, il nous serait arrivé de charger les manifestants pour rien, celui-là est plus paisible et mesuré", confie un haut-gradé de la PP.
- "Il suffit d'un rien" -
"Le contexte de 2023 n'est pas celui de 2019 et 2020 ou 2021, avec des gilets jaunes qui partaient en cortèges sauvages et qu'il fallait encadrer de façon stricte", nuance la porte-parole de la PP, Loubna Atta.
"Le problème avec les gilets jaunes, c'est que toute la foule pouvait être hostile. Il n'y avait pas une partie black bloc et une partie syndicale. Là, au centre de commandement, ils savent à peu près qui est où", souligne un autre policier parisien.
Le dialogue avec les responsables syndicaux, que Laurent Nuñez appelle personnellement, s'est aussi pacifié.
La réunion de préparation des manifestations est "plus détendue qu'elle ne l'a été, moins guindée", souligne un responsable du syndicat FO.
Les "officiers de liaison" chargés de faire le lien entre le cortège et la salle de commandement "restent auprès de nous toute la manifestation", ajoute-t-il. Le 31 janvier, les agents les ont ainsi prévenus que des incidents avaient éclaté place Vauban, lieu d'arrivée du cortège: "On a donc demandé à nos manifestants de rebrousser chemin", détaille le responsable syndical. "Ces informations sont précieuses pour éviter des blessés".
Cela n'empêche pas les accrocs. Mardi, le service d'ordre syndical entourant le carré de tête a été la victime collatérale de plusieurs charges de CRS venus au contact du black bloc.
Ce dernier semble, jusqu'à présent, ne pas parvenir à perturber les défilés.
Mais tout peut encore changer, tempère Fabien Jobard, sociologue, spécialiste des questions de police. "Si les manifestants ont le sentiment que c'est inutile, en cas de 49.3 par exemple, ça peut durcir le mouvement, dont une partie pourrait échapper aux syndicats", anticipe-t-il.
"Le maintien de l'ordre, c'est vraiment compliqué, il suffit d'un rien pour que ça dégénère", rappelle le policier parisien.
Ainsi, le 24 décembre, après le geste d'un chauffeur de camionnette, perçu comme une provocation par la foule, le rassemblement en hommage aux trois Kurdes tués à Paris avait viré à l'affrontement entre manifestants et forces de l'ordre.
P.Garcia--HHA