Les "paras" français à l'assaut contre un coriace ennemi fictif
Aux abord de Castres, dans le sud de la France, le ciel gris hivernal est soudain constellé d'une nuée de parachutes kaki: un assaut aéroporté contre un ennemi fictif, volet crucial d'un exercice inédit pour entraîner les armées à un engagement majeur.
Six avions de transport militaire A400M enchaînent les rotations à un rythme cadencé pour déverser sur un plateau pelé quelque 600 hommes et 12 tonnes de matériel.
Arrivés au sol, les premiers hommes du 8e régiment parachutiste d'infanterie de marine (8e RPIMa) sont accueillis par des tirs.
"On a été pris à partie dès le largage", raconte le lieutenant Hugo. Sa compagnie est couverte jusqu'à une position de repli par des commandos, infiltrés la veille pour collecter du renseignement et détruire les défenses sol-air de l'adversaire.
Très vite, les marsouins se regroupent avant de poursuivre leur mission. Dans leur sac, un obus de mortier, des vivres et munitions pour tenir 3 jours. Equipés, les paras pèsent 165 kilos.
L'exercice Orion, qui mobilise 7.000 militaires jusqu'au 11 mars, simule une intervention dans un pays ("Arnland") déstabilisé par des milices bien équipées, et frontalier d'un État puissant orchestrant ces troubles ("Mercure").
Prévues depuis 2020, ces manoeuvres prennent une signification plus grande encore après l'invasion de l'Ukraine en Russie, il y a un an. La géopolitique mondiale est bouleversée et le recours à la force n'est plus tabou.
"Le saut n'est que la mise en place. La mission commence maintenant", souligne le capitaine Thibault. "On va essayer de sécuriser une large zone pour la rendre aussi hermétique que possible cette nuit".
Rations, carburant, munitions et véhicules légers ont été largués sur des palettes. Un savoir-faire "unique en Europe de livraison par air à cette échelle", assure le colonel Frédéric Laprévottte, du 1er régiment de train parachutiste.
L'enjeu de cette opération aéroportée, qui donne le coup d'envoi de la manoeuvre à terre, est d'"offrir aux autres forces une porte d'entrée pour leur permettre de se déployer", explique le général Benoit Desmeulles, commandant de la 11e brigade parachutiste.
"Ce type d'opération est risquée mais elle doit permettre de prendre la main", résume-t-il. Il y a un an, l'échec de l'assaut aéroporté russe à proximité de Kiev avait lourdement contrarié les plans de Moscou pour conquérir la capitale ukrainienne.
L'aérolargage de Castres a été précédé ces derniers jours d'une campagne aérienne de renseignement et de combats navals simulés en Méditerranée, où croisent 30 bâtiments de la Marine nationale, dont le porte-avions Charles de Gaulle et deux porte-hélicoptères amphibie (PHA).
- "Du jamais vu" -
Les armées préparent également un débarquement amphibie sur la côte méditerranéenne.
Pour les armées françaises, la dernière ouverture de théâtre de cette ampleur en conditions réelles remonte à l'opération Serval au Mali, en 2012, quand les soldats français avaient repris la ville de Tombouctou.
Mais après deux décennies de lutte antijihadiste, l'adversaire risque désormais d'être un Etat, donc de force égale. Un changement de paradigme qui exige de durcir l'entraînement interarmées.
"La quantité des moyens mis à disposition, le degré de synergie entre les différentes armées, c'est du jamais vu depuis je me suis engagé", commente le capitaine Thibault. "On sent qu'on a passé un cap dans la préparation opérationnelle".
Depuis la base aérienne de Lyon-Mont Verdun, un état-major veille sur les débuts de l'opération.
"Bienvenue dans la guerre", lance le général Nicolas Le Nen, commandant des opérations interarmées, en montrant d'immenses écrans qui permettent de suivre en direct tous les volets de l'opération: cartes, images satellitaires, échanges écrits avec les unités au sol mais aussi lutte cyber et informationnelle.
"Le conflit en Ukraine nous réapprend la guerre de haute intensité", qui se joue "sur tout le registre de la guerre moderne", explique le général Le Nen: dans tous les milieux (air, mer, terre, espace) et dans les champs immatériels.
Des incidents cyber seront provoqués pour tester les troupes, précise le capitaine de vaisseau Olivier, du commandement cyber. Et sur un réseau social simulé, "on produit des narratifs pour ne pas se laisser imposer le récit de l'adversaire", souligne-t-il.
O.Rodriguez--HHA