Pour la première fois, les pêcheurs appellent à des "journées mortes" dans les ports
Pour la première fois, le comité national des pêches appelle à des journées mortes dans les ports français pour exiger du gouvernement des réponses à une série "d'attaques" fragilisant le secteur, dans un climat de tensions jamais vu depuis la crise du Brexit.
Pas un bateau en mer, pas un poisson vendu, pas de mareyage, pas de transformation: l'opération inédite "port mort" est prévue jeudi et vendredi, chaque comité local choisissant le ou les jours qui lui conviennent. Elle est organisée dès ce mardi dans le nord de la France.
A Boulogne-sur-Mer, principal port français, où la mobilisation a démarré dimanche soir avec le blocage du port, on monte d'un cran ce mardi, avec la fermeture de la criée: les pêcheurs ont prévenu les navires européens frayant dans la Manche de ne pas venir débarquer leurs poissons, où personne ne les traiterait pendant le mouvement.
"La coupe est pleine et il nous faut redonner un avenir à tous les acteurs de notre filière car aujourd'hui l'horizon est sombre", affirme le comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM), dans un communiqué publié mardi.
Pour tenter de désamorcer la crise, le secrétaire d'Etat à la Mer Hervé Berville a invité les membres du comité national à une réunion en visioconférence à la mi-journée.
Depuis plusieurs jours, la colère monte: manifestations musclées à Rennes ou Lorient, blocages à Boulogne ou opérations de sensibilisation, avec distribution de poissons à Capbreton (Nouvelle Aquitaine).
- "Action unitaire" -
Les professionnels dénoncent des "réglementations européennes inadaptées", notamment la récente interdiction de la pêche de fond dans les aires marines protégées d'ici 2030, le prix du gazole, la fermeture de certaines zones en pêche en Atlantique afin de préserver les dauphins dont les échouages se sont multipliés dans le golfe de Gascogne et, in fine, le "désengagement" de l'Etat.
"L’accumulation des normes, des menaces, des contentieux remet en cause le fondement même de notre métier en nous culpabilisant d'exercer nos métiers: le seul objectif est pourtant de nourrir les Français et les Européens", affirme le comité.
Le constat est amer, alors que la flotte française a diminué de plus d'un quart en 20 ans et que la pêche nationale ne représente que 25% du poisson vendu sur les étals.
Après la crise sanitaire et le Brexit, qui a abouti à l'envoi à la casse de 90 navires, les professionnels jugent l'existence même de la filière "compromise par un harcèlement incessant et des soutiens au coup par coup sans accompagnement vers une vision d'avenir".
Ils ont fait part de cette colère au président Emmanuel Macron, dans une lettre ouverte envoyée la semaine dernière, réclamant "une pause dans cette avalanche de mauvais coups", et réclament depuis d'être reçus par le chef de l'Etat.
Dans l'attente d'une réponse, le comité des pêches "appelle tous les représentants professionnels à suspendre leur participation aux instances de gestion environnementales".
Un geste de colère mais aussi le signe d'une détresse profonde, quand depuis cinq ans, "les pêcheurs sont à l'initiative de programmes scientifiques et techniques pour déterminer des solutions d'évitement (sonars répulsifs, filets spéciaux pour éloigner les cétacés, NDLR), pour concilier activités de pêche et protection des dauphins (...)", qu'ils ont "déjà limité les périodes et zones de pêche" pour "prendre soin de la ressource", selon le président du comité, Olivier Le Nezet.
Le comité précise que les journées "port mort" organisées jeudi et vendredi sont le fruit d'une "action unitaire", coordonnées entre pêcheurs, criées et mareyeurs: "Il ne s’agit pas de se fragiliser nous-mêmes. D’autres y pensent à notre place".
Le président Macron avait fait un geste au Salon de l'agriculture, annonçant une prolongation de l'aide carburant et affirmant son soutien à la filière contre le plan européen sur l'interdiction totale des chaluts de fond. Cela n'a pas suffi.
La colère est profonde et "on n'est pas à l'abri de violences" comme on l'a vu à Rennes mercredi dernier, soulignait mardi un responsable du secteur.
M.Schneider--HHA