Arnaud Svrcek, maire et agriculteur dressé contre le géant Rockwool
Les bottes plantées dans ses terres, Arnaud Svrcek, maire sans étiquette d'un petit village de l'Aisne, a pris, au nom de la défense de l'environnement comme "bien commun", la tête du combat contre l'implantation du géant danois Rockwool, au risque d'irriter.
"Je ne suis pas un révolutionnaire, je suis un garçon super paisible", jure cet agriculteur de 55 ans, père de cinq enfants, derrière ses sourcils broussailleux.
Depuis son élection en 2020 à la mairie de Courmelles -1.800 habitants- cet homme aux robustes mains de travailleur incarne l'opposition à l'installation sur sa commune d'une usine de laine de roche, un isolant peu coûteux mais critiqué pour la pollution générée par sa production.
Dans sa commune, nombreux sont les riverains à afficher leur opposition au projet: ils pointent le rejet dans l'air de substances polluantes (phénols, formaldéhydes, ammoniac...), une consommation massive d'eau et d'électricité et la multiplication de camions.
Arnaud Svrcek juge aussi la laine de roche dépassée face aux isolants bio-sourcés. Quant aux 130 emplois promis, ils lui semblent insuffisants pour justifier les nuisances, même dans un département où le chômage dépasse les 10%.
L'édile part au combat en mars 2021, quand il refuse le permis de construire de l'usine. Mais son arrêté est annulé en décembre 2022 par le tribunal administratif, qui lui reproche d'avoir méconnu "le principe d'impartialité" lui imposant "de traiter les affaires sans préjugés".
- Pas un "ange vert" -
Arnaud Svrcek a depuis fait appel et organisera le 11 juin une consultation publique sur le projet. "C'est le combat d'un village, ce n'est pas mon combat", insiste celui qui a co-signé avec le journaliste David Breger le récit de cette lutte (Le village contre la multinationale, Seuil).
Dans la cour de sa ferme, il goûte aujourd'hui un silence précieux. Mais si le projet aboutit, il deviendra le plus proche riverain de l'usine, redoutant "le ronflement comme un sèche-cheveux dans les oreilles, H24" de l'usine.
Enfant, ce descendant de Slovaques arrivés en Picardie dans les années 30 contemplait cette exploitation d'une centaine d'hectares, où il cultive céréales, betteraves et pommes de terre, comme un rêve inaccessible.
Avec des parents facteur et agent administratif, se lancer dans l'agriculture n'était pas une évidence. Et "quand vous êtes issus de l'immigration, pour y arriver, il faut avoir deux fois raison", souligne-t-il.
Bac en poche, il s'installe et cultive ses terres dans une logique productiviste, reconnaît-il aujourd'hui, soulignant ne pas être un "ange vert".
S'il pratique désormais une agriculture "raisonnée", il a notamment utilisé du glyphosate, un herbicide dont l'usage illustre selon lui le défaut de précaution en matière sanitaire et environnementale.
- "Esprit gaulois" -
Quand il se lance en politique en 2020, c'est pour succéder à l'ancien maire, un proche décédé en fonction en 2019.
Il ne fait pas campagne contre Rockwool, qui vient alors d'acquérir 39 hectares dans la zone d'activités, mais se plonge, une fois élu, dans la documentation fournie par l'industriel.
Puis il visite son unique site français, à Saint-Eloy-les-Mines (Puy-de-Dôme) et forge sa conviction, renforcée par les avis hostiles exprimés lors de l'enquête publique et celui, négatif, du commissaire enquêteur.
Attaché à sa "liberté de pensée", dans une commune où le RN séduit aux élections nationales, il refuse d'être "récupéré" par un parti, jugeant que l'environnement n'est "pas un problème de gauche ou de droite".
"C'est une personne qui écoute et c'est là que se trouve la clef de sa position", assure Génebaud Gérandal, de l'association d'opposants "Stop Rockwool", qui salue un homme au "fort esprit gaulois de résistance".
Le maire (DVD) de la ville toute proche de Soissons, Alain Crémont, fustige à l'inverse un homme "dans l'obstination la plus totale et dans l'irrationnel, qui ne fait pas confiance aux services de l'Etat". Lui défend un projet faisant "l'unanimité" dans l'agglomération.
Sollicité par l'AFP, Rockwool n'a pas souhaité s'exprimer.
Arnaud Svrcek se dit prêt à "lâcher l'affaire" s'il est désavoué par la consultation des habitants en juin. Mais laisse planer la menace d'une opposition plus vigoureuse si Rockwool commençait les travaux sans respecter la loi.
F.Carstens--HHA