Au Soudan, trois civils tués dans la guérilla entre militaires et paramilitaires
Trois civils ont été tués samedi au Soudan où la rivalité entre les deux généraux aux commandes depuis le putsch de 2021 a dégénéré en combats de rue, raids aériens et menaces par médias interposés.
A Khartoum, où plus personne ne s'aventure hors de chez lui, au milieu des tirs et des explosions ininterrompus depuis le matin, des médecins prodémocratie multiplient les appels en ligne aux volontaires évoquant "un grand nombre de blessés dont certains grièvement".
Les appels à un cessez-le-feu "immédiat" --de l'ONU, de Washington, de Moscou, de l'Union africaine, de la Ligue arabe, de l'Union européenne et même de l'ancien Premier ministre civil Abdallah Hamdok-- n'y font rien.
Les paramilitaires "ne s'arrêteront pas avant d'avoir pris le contrôle de l'ensemble des bases militaires", a menacé, parlant vite et fort au téléphone sur la chaîne al-Jazeera, leur commandant, le général Mohamed Hamdane Daglo, dit "Hemedti".
Ses Forces de soutien rapide (FSR) --des milliers d'ex-miliciens de la guerre du Darfour devenus supplétifs de l'armée-- ont dit avoir pris l'aéroport international et le palais présidentiel.
Des deux côtés, finies les négociations feutrées sous l'égide de diplomates et autres discussions policées, l'armée a mobilisé ses avions pour frapper --et "détruire", dit-elle-- des bases des FSR à Khartoum. Hemedti, lui, a agoni sur Al-Jazeera son rival d'insultes: c'est un "criminel" qui a "détruit le pays", a-t-il lancé.
Les FSR appellent la population et les militaires à "se rallier à elles" et à se retourner contre l'armée.
Les 45 millions de Soudanais, eux, se sont brutalement réveillés en plein coeur du jeûne de ramadan et sous un soleil de plomb, au son des tirs à l'arme lourde et des explosions à Khartoum et dans plusieurs autres villes.
Selon un premier bilan du syndicat officiel des médecins, trois civils ont été tués --deux à Khartoum et un à El-Obeid (sud).
Les deux camps s'affrontent désormais pour le contrôle du siège des médias d'Etat, selon des témoins, alors que le signal de la télévision reste faible.
Dans la même banlieue d'Omdourman, un journaliste de la BBC en arabe a été "frappé par un soldat" alors qu'il tentait d'expliquer qu'il se rendait à son travail, selon sa chaîne.
- Avion saoudien attaqué -
Lors du putsch, Hemedti et Burhane avaient fait front commun pour évincer les civils du pouvoir. Mais au fil du temps, Hemedti n'a cessé de dénoncer le coup d'Etat.
Récemment même, il s'est rangé du côté des civils --donc contre l'armée dans les négociations politiques-- bloquant les discussions et donc toute solution de sortie de crise au Soudan.
Depuis des jours, la rue bruissait de rumeurs sur une guérilla imminente entre les deux camps.
En quelques heures, les FSR ont annoncé avoir pris l'aéroport international de Khartoum, en plein coeur de la capitale, puis le palais présidentiel où siège habituellement le général Burhane, ainsi que le palais réservé aux hôtes de l'Etat, un aéroport du nord du pays et "d'autres bases dans différentes provinces".
- Soldats égyptiens -
Sur une vidéo publiée samedi par les FSR sur Twitter, on peut apercevoir des hommes en uniformes présentés comme "des soldats égyptiens qui se sont rendus avec des militaires soudanais" aux FSR dans la base militaire de Méroé (nord). Le porte-parole de l'armée égyptienne a dit "suivre la situation" confirmant dans un communiqué "la présence de forces égyptiennes" au Soudan.
Les habitants, eux, sont cloîtrés chez eux. "J'allais au travail ce matin mais dès que j'ai entendu les coups de feu, je suis rentré chez moi", raconte à l'AFP Bakry, 24 ans.
"Tout le monde avait peur et courrait vers sa maison. Les rues se sont vidées d'un coup" a ajouté cet employé du secteur privé. "On n'avait jamais vu ça".
"J'appelle les hauts commandants militaires à cesser immédiatement de se battre" a tweeté l'ambassadeur américain John Godfrey disant s'abriter lui-aussi à Khartoum.
Pour les experts, les deux commandants faisaient monter les enchères alors que les civils et la communauté internationale tentent de leur faire signer un accord politique censé relancer la transition démocratique.
Le différend entre les deux hommes forts portent sur l'avenir des paramilitaires: l'armée ne refuse pas leur intégration aux troupes régulières mais elle veut imposer ses conditions d'admission et limiter dans le temps leur incorporation. Le général Daglo, lui, veut une inclusion large et, surtout, sa place au sein de l'état-major.
F.Carstens--HHA