Le sort de la pilule abortive devant la Cour suprême des Etats-Unis
La Cour suprême des Etats-Unis doit se prononcer mercredi sur une pilule abortive largement utilisée dans le pays, qui se retrouve au coeur d'un casse-tête judiciaire depuis qu'un juge a semé la confusion en voulant suspendre son autorisation de mise sur le marché.
Moins d'un an après avoir annulé la protection constitutionnelle de l'avortement, la haute cour à majorité conservatrice a été saisie en urgence par le gouvernement de Joe Biden après des décisions de justice contradictoires.
A travers les Etats-Unis, défenseurs et opposants au droit à l'avortement attendent avec anxiété sa décision sur ce "ping-pong judiciaire" à l'issue très incertaine, selon les mots de Carrie Flaxman, de l'organisation de planning familial Planned Parenthood.
Ce dernier rebondissement dans l'assaut lancé par les conservateurs contre le droit à l'avortement a pour enjeu l'accès sur tout le territoire à la mifépristone.
En combinaison avec un autre médicament, la mifépristone est utilisée pour plus de la moitié des IVG aux Etats-Unis. Plus de cinq millions d'Américaines l'ont déjà prise depuis son autorisation par l'Agence américaine des médicaments (FDA) il y a plus de 20 ans.
La Cour suprême "a face à elle un choix clair: maintenir un fait légal et scientifique ou capituler devant l'extrémisme. Se tenir aux côtés du peuple américain ou trahir sa confiance. Protéger la liberté ou encourager la tyrannie", a lancé mercredi à Washington l'élue démocrate Katherine Clark.
"Les républicains ont un seul objectif: une interdiction de l'avortement au niveau national. Ils veulent contrôler les femmes dans chaque Etat et dans chaque code postal", a-t-elle ajouté.
- Juge contre juge -
Tout a commencé lorsqu'un juge fédéral au Texas connu pour sa foi chrétienne et ses positions ultra-conservatrices, nommé par Donald Trump, a retiré le 7 avril l'autorisation de mise sur le marché de la mifépristone après avoir été saisi par des militants anti-avortement. En dépit du consensus scientifique, il a estimé qu'elle présentait des risques pour la santé des femmes.
Une cour d'appel, saisie par le gouvernement fédéral, a ensuite permis que la pilule abortive reste autorisée, mais en limitant les facilités d'accès accordées par la FDA au fil des ans.
Son jugement revenait ainsi à interdire l'envoi par la poste de la mifépristone et à retourner à une utilisation limitée à sept semaines de grossesse, au lieu de dix.
Le gouvernement fédéral a alors saisi en catastrophe la Cour suprême. Cette dernière a temporairement maintenu vendredi l'accès à la pilule abortive, en suspendant la décision de la cour d'appel afin d'avoir plus de temps pour examiner le dossier.
Compliquant encore l'affaire, un juge fédéral siégeant dans l'Etat de Washington, nommé par Barack Obama, avait estimé juste après la décision de son collègue au Texas que la mifépristone était "sûre et efficace" et avait interdit à la FDA de retirer son agrément dans 17 Etats et dans la capitale.
- Vaccins? -
La suspension par la Cour suprême vaut jusqu'à mercredi juste avant minuit.
Mardi, une coalition de médecins anti-avortement a exhorté le temple du droit américain à laisser la décision de la cour d'appel en place.
La FDA et le laboratoire pharmaceutique Danco, qui fabrique la mifépristone, ont "continuellement fait passer la politique avant la santé des femmes", ont dénoncé ces associations de gynécologues et de pédiatres militant contre l'IVG.
"Sans une décision suspensive, la mifépristone va provoquer encore plus de complications physiques, de traumatismes émotionnels et même de morts chez les femmes", ont argué les médecins, assurant qu'elle nuirait aussi "aux plaignants en les forçant à pratiquer des avortements à la carte violant leur conscience".
Le président Biden avait jugé que la décision du juge au Texas "dépass(ait) complètement les bornes" et s'est dit déterminé à la "combattre".
La pilule abortive n'est déjà plus disponible officiellement dans une quinzaine d'Etats américains ayant récemment interdit l'avortement, même si des voies détournées se sont développées. L'impact de restrictions ou d'une interdiction de cette pilule concernerait donc en premier lieu les Etats où l'avortement reste légal -- pour beaucoup démocrates.
Experts et patrons du secteur pharmaceutique craignent que ces actions en justice n'ouvrent la voie à la remise en cause par des tribunaux d'autres médicaments.
"Il n'est pas irréaliste de dire que si un juge peut se réveiller le matin et décider qu'il veut retirer un médicament du marché (...), alors un juge peut faire la même chose pour des vaccins ou des antidépresseurs qu'il n'aime pas", a affirmé Josh Sharfstein, un ancien responsable de la FDA.
J.Berger--HHA