A Khartoum, des civils fuient entre les cadavres pour échapper aux combats
Des milliers de civils ont fui mercredi sous les bombes la capitale du Soudan, où les combats entre les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) et l'armée régulière ont tué plus de 270 civils en cinq jours.
A pied ou en voiture, sur des routes bordées de cadavres et de blindés calcinés, des milliers de Soudanais tentent de passer sous les tirs croisés des FSR du général , dit "Hemedti", et de l'armée que dirige le général , aux commandes depuis leur putsch conjoint de 2021.
"La vie est impossible à Khartoum", raconte à l'AFP Alawya al-Tayeb, 33 ans, en route vers le sud. "J'ai tout fait pour que mes enfants ne voient pas les cadavres" car ils sont "déjà traumatisés".
"On part chez des proches à Wad Madani", chef-lieu d'al-Jazira, à 200 km au sud de la capitale, explique Mohammed Saleh, fonctionnaire de 43 ans. Maintenant que militaires et paramilitaires rôdent dans les rues, "on a peur que nos maisons soient attaquées".
Alors que les combats touchent principalement Khartoum et le Darfour (ouest), les deux généraux rivaux restent sourds aux appels au cessez-le-feu.
Comme mardi, les FSR ont annoncé "une trêve de 24 heures" à partir de 16H00 GMT mais peu y croient celle de mardi n'avait pas duré une seule minute.
Plus de 270 civils ont été tués depuis samedi, ont rapporté dans un communiqué 15 ambassades occidentales qui préviennent qu'il ne s'agit que d'un bilan "provisoire". L'ONU avait fait état lundi soir de près de 200 morts.
Elles exhortent en outre les deux camps à "ne pas expulser illégalement les gens de chez eux, épargner les infrastructures civiles, laisser passer les denrées de base et l'aide d'urgence aux blessés et aux malades".
Mercredi, l'armée a dit s'être battue avec les FSR autour d'une des agences de la Banque centrale et que "des sommes astronomiques ont été volées".
- Hôpitaux hors d'usage -
L'armée de l'air et l'artillerie des deux camps ont bombardé neuf hôpitaux de Khartoum. En tout, 39 des 59 hôpitaux des zones touchées par les combats ont été mis hors d'usage ou forcés de fermer, rapportent des médecins.
Quant aux stocks de nourriture, déjà limités dans un pays avec une inflation à trois chiffres, ils s'épuisent et aucun camion d'approvisionnement n'est entré à Khartoum depuis samedi.
Dans un pays de 45 millions d'habitants où la faim touche plus d'un tiers de la population, humanitaires et diplomates disent ne plus pouvoir travailler: trois employés du Programme alimentaire mondial (PAM) ont été tués au Darfour (ouest) et l'ONU dénonce "des pillages, des attaques et des violences sexuelles contre des humanitaires".
- Cadavres et chiens errants -
Des cadavres gisent sous un soleil de plomb. Alors que des odeurs pestilentielles commencent à s'en dégager, quelques personnes s'aventurent pour les recouvrir d'un drap. Un homme explique qu'il veut empêcher les chiens errants d'en approcher.
Parfois, dans un vacarme pétaradant, un convoi de combattants juchés sur des pick-ups passent en vitesse ou d'autres postés en bord de route contrôlent les véhicules.
A quelques dizaines de kilomètres de la capitale, la vie se poursuit comme si de rien n'était avec des magasins ouverts et des transports qui fonctionnent normalement.
A Khartoum en revanche, les attaques n'épargnent personne, pas même les étrangers. Le patron belge de la mission humanitaire de l'UE a notamment été "hospitalisé" après avoir été touché par balle.
Après cinq jours de combats, impossible de savoir qui contrôle quoi, tant la confusion est totale et la désinformation en ligne galopante.
Les images satellitaires montrent toutefois l'étendue des dégâts, visibles notamment au QG de l'état-major.
Une dizaine d'avions gisent en cendres sur le tarmac de l'aéroport, le siège des renseignements généraux apparaît ravagé, ce qui était un dépôt de camion-citernes d'essence n'est plus qu'une immense tache noire.
"Aucun camp ne semble l'emporter pour le moment et vu l'intensité des combats (...), les choses peuvent encore empirer avant que les deux généraux ne s'assoient à la table des négociations", prévient Clément Deshayes, enseignant à l'université Paris 1.
Pour cela, "il faudrait que leurs partenaires régionaux fassent pression et pour l'instant les déclarations ne vont pas dans ce sens", affirme encore à l'AFP ce spécialiste du Soudan.
L'Egypte voisine, elle, tente de récupérer plusieurs de ses soldats enlevés dans le Nord par les FSR. "Ils ont été transférés à Khartoum et seront remis quand les circonstances le permettront", ont indiqué les FSR.
H.Graumann--HHA