Hamburger Anzeiger - Au Pakistan, la minorité ahmadie dans la hantise des islamistes

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Au Pakistan, la minorité ahmadie dans la hantise des islamistes
Au Pakistan, la minorité ahmadie dans la hantise des islamistes / Photo: Arif ALI - AFP

Au Pakistan, la minorité ahmadie dans la hantise des islamistes

Le père de Sadia est mort pour sa foi, poignardé en pleine rue par un islamiste car il appartenait à la minorité religieuse ahmadie, discriminée et persécutée depuis des décennies au Pakistan.

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Il patientait à un arrêt de bus en août 2022 dans la ville de Rabwah, quand l'inconnu l'a abordé et lui a demandé de chanter les louanges d'un prédicateur musulman radical. Son refus a trahi son identité.

"On nous traite comme si on n'existait pas, on ne nous considère même pas comme des êtres humains", déclare à l'AFP Sadia Amjad, dont le nom a été changé pour raisons de sécurité.

L'assassin de son père savait qu'il trouverait des Ahmadis à Rabwah, dans la province du Pendjab (centre-est), une ville de 75.000 habitants abritant la principale communauté du pays.

Les Ahmadis, qui ont émigré d'Inde vers le Pakistan après la partition de 1947, se considèrent musulmans. Mais pour les autres courants de l'islam ils sont hérétiques car ils croient en un prophète postérieur à Mahomet, le "mahdi" (messie) Mirza Ghulam Ahmad, né au 19e siècle.

La communauté, estimée à quelque 10 millions de fidèles dans le monde, a essaimé dans de nombreux pays.

Au Pakistan, la Constitution les désigne comme non-musulmans depuis 1974 et une loi leur interdit depuis 1984 de s'affirmer musulmans et de propager leur foi.

Contrairement aux Ahmadis d'autres pays, ils ne peuvent nommer "mosquée" leur lieu de culte, faire l'appel à la prière ou se rendre en pèlerinage à La Mecque. Ils encourent une peine de prison de trois ans pour le simple usage de la formule de salutation habituelle "as-salaam alaikum".

Rabwah, pourtant mentionnée dans le Coran, a elle-même vu son nom modifié par les autorités en Chenab Nagar dans les années 1990.

"Nous sommes victimes de discrimination depuis (notre) enfance, mais ça atteint des niveaux extrêmes", souligne Sadia.

"Nous en sommes à un point où notre droit même de vivre nous est ôté. Avant c'était juste de l'hostilité, mais maintenant nos vies sont menacées", ajoute cette enseignante de 26 ans.

Le meurtrier de son père était un jeune sympathisant du Tehreek-e-Labbaik Pakistan (TLP), un parti islamiste à l'origine de violentes campagnes anti-blasphème.

- "La responsabilité de l'Etat" -

Le Pakistan assure que toutes les minorités religieuses sont protégées par la Constitution qui garantit la liberté de culte.

Mais les membres des minorités, Ahmadis en tête, sont proportionnellement bien plus souvent condamnés pour blasphème, une accusation passible de la peine de mort même si celle-ci n'a jamais été appliquée.

Depuis 1984, 4.000 Ahmadis ont fait face à une procédure pénale en raison de leur foi dont 334 pour blasphème, selon un décompte de la communauté.

Le Premier ministre Anwaar-ul-Haq Kakar a récemment assuré qu'il était de son "devoir de croyant" de "protéger leurs vies, leurs propriétés et leur dignité".

Mais Azra Parveen --un autre nom d'emprunt-- ne croit pas aux promesses. Cette femme au foyer âgée de 56 ans a perdu en 2020 son fils, tué par un adolescent extrémiste, également au Pendjab.

"La responsabilité en incombe à l'Etat", incapable de museler les islamistes, accuse-t-elle, refusant d'accabler le meurtrier. "Je ne le maudis même pas. Lui aussi est le fils d'une mère".

Les Ahmadis ne peuvent s'inscrire sur les listes électorales, sous peine de s'exposer à des représailles. Dès que leur foi est connue, ils sont ostracisés: depuis les bancs de l'école jusque dans la vie professionnelle.

Leurs commerces sont couramment boycottés voire vandalisés. A contrario, certains magasins s'affichent interdits aux Ahmadis.

Sajjad Akhtar --encore un pseudonyme--, 50 ans, était un homme d'affaires aisé de Lahore, capitale du Pendjab. Mais quand sa religion a été découverte, une plainte a été déposée contre lui, l'accusant de propager sa foi. Il a dû fuir, avec sa famille.

"Je m'attendais à ce qu'il y ait une réaction quand ma foi a été révélée, mais je ne pensais pas qu'elle serait aussi extrême", dit-il.

- Lieux de culte saccagés -

A Rabwah, où 90% des habitants sont ahmadis, la communauté finance partiellement les infrastructures publiques. La ville dispose de bonnes écoles, gratuites et ouvertes aux non-Ahmadis, d'un hôpital cardiologique réputé et de structures sportives.

Abdus Salam, un Ahmadi prix Nobel de physique 1979, est enterré à Rabwah. Sur sa tombe, la mention "musulman" a été enlevée par les autorités.

S'ils sont plus en sécurité à Rabwah qu'ailleurs au Pakistan, où ils sont mélangés aux autres confessions, les Ahmadis ne s'y sentent pas pour autant à l'abri.

Leurs lieux de culte sont régulièrement saccagés et leurs cimetières profanés, parfois sous l'oeil approbateur de policiers.

"Même après leur mort, les Ahmadis ne sont pas pardonnés. La persécution ne prend pas fin avec la mort d'un Ahmadi", s'insurge Mahmood Iftikhar Ahmad Zufar, un de leurs porte-parole.

La communauté du Pakistan --400.000 à 500.000 personnes, selon ses estimations-- reste l'une des principales au monde. Mais ses membres quittent en masse le pays, surtout depuis la mort en 2010 de plus de 80 Ahmadis dans deux attaques suicides contre des lieux de prière de Lahore.

Sadia elle-même ne se fait guère d'illusions sur l'avenir. "Je ne pense pas qu'on nous accordera nos droits ou qu'on nous laissera vivre en sécurité, librement et sans restrictions".

Ch.Tremblay--HHA