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Colombie: face à l'insécurité et au racket, la tentation de l'autodéfense
Colombie: face à l'insécurité et au racket, la tentation de l'autodéfense / Photo: Raul ARBOLEDA - AFP

Colombie: face à l'insécurité et au racket, la tentation de l'autodéfense

C'était au début de l'année à Bogota, dans le très actif quartier commerçant du 7 Août, un prospère patron d'ateliers de mécanique automobile était abattu par des inconnus après avoir refusé de payer ses racketteurs.

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Des vigiles privés, pour la plupart militaires en retraite, veillent depuis au coin des rues sur les commerçants excédés par le racket et la criminalité, et qui ont décidé de prendre leur sécurité en main.

En Colombie, acteurs économiques et civils prennent une part de plus en plus active, au côté des autorités, à la lutte contre la criminalité, au risque de raviver le spectre des paramilitaires qui semèrent jadis, au nom de la lutte contre l'insécurité et les guérillas, la terreur dans le pays.

Selon les collègues du commerçant assassiné, les tueurs appartenaient aux "Satanas", un groupe criminel sous commandement vénézuélien, qui se dispute le contrôle territorial de Bogota face aux gangs locaux et au "Tren de Aragua", autre organisation criminelle vénézuélienne à l'influence croissante dans toute l'Amérique latine.

Les témoignages recueillis par l'AFP font état de la peur qui a poussé ces commerçants à financer un groupe d'autodéfense contre ce type de crime.

- "Barrière de contention" -

Casquette sur la tête et rangers aux pieds, les sentinelles du quartier du 7 Août refusent de s'identifier face à la caméra.

"Nous assurons la sécurité, il y a des gens armés ici, mais dans le respect de la loi (...) Nous ne sommes pas illégaux, nous sommes des retraités de l'armée et les commerçants nous paient", confie sous couvert d'anonymat l'un d'entre eux.

Un militaire à la retraite ayant travaillé pour la société américaine controversée Blackwater, grande recruteuse de mercenaires, a été invité à rejoindre le groupe mais n'a pas accepté.

Sans révéler son nom, il a expliqué à l'AFP les termes de l'offre d'emploi: pour un salaire mensuel d'environ 1.000 dollars, il devait "neutraliser" tout suspect "et le présenter immédiatement aux autorités" pour qu'elles gardent le mérite de son arrestation, et "que nous restions en marge" sans "apparaître dans les médias".

L'un des vigiles confirme: "s'il y a quelque chose d'anormal, nous appelons (les forces de sécurité), elles arrivent dans des véhicules motorisés et identifient" les suspects.

Interrogée par l'AFP, la police métropolitaine de Bogota n'a pas réagi à ces allégations.

Les vigiles privés rencontrés par l'AFP affirment travailler en collaboration avec la Gaula, ce que cette force publique spécialisée dans la lutte contre le racket et les enlèvements, dément.

- "Organisation réactionnaire" -

Comme au Pérou, en Équateur et au Mexique, l'extorsion est un fléau dans la capitale colombienne de huit millions d'habitants.

Depuis plusieurs mois, les braquages, meurtres et fusillades sont en augmentation à Bogota, faisant les gros titres de la presse locale.

Le sentiment de ne pas se sentir protégé se répand dans tout le pays et constitue, selon l'institut de sondage Invamer, l'une des principales préoccupations des Colombiens.

En province, les groupes armés ont profité des pourparlers de paix voulus par le président de gauche Gustavo Petro (élu en 2022) pour accroitre leur influence territoriale et donc leurs "impôts" et autres taxes imposées aux populations.

Début mars, le patron des éleveurs de bétail du pays, José Félix Lafaurie, a proposé que les fermiers et autres acteurs économiques s'organisent entre eux pour collaborer avec les forces de sécurité et former un "tissu social protecteur" et "une barrière de contention" contre le crime.

Mais le ministre de la Défense, Ivan Velasquez, a rejeté cette idée, assurant que le gouvernement de gauche "ne soutient pas" tout "projet" qui ressemble à "une forme d'autodéfense" ou "qui associe des individus à une organisation réactionnaire".

Pendant le conflit armé dans le pays qui a fait plus de neuf millions de victimes en six décennies, des organisations d'autodéfense ont été créées dans plusieurs régions pour lutter contre les guérillas marxistes et d'extrême gauche.

Ces groupes inspirés par l'extrême droite se sont transformés en de sanglants escadrons de la mort, qui ont commis 1.166 massacres entre 1980 et 2012, parfois en alliance avec la police et l'armée, selon le Centre national de la mémoire historique. La plupart ont été démobilisés en 2006.

- "Je dénonce!" -

Dans le grand marché du quartier du 7 Août, des responsables policiers et militaires, interrogés par l'AFP, se désolidarisent des vigiles au coin des rues.

"Les civils n'ont aucune responsabilité" à avoir dans la lutte contre l'extorsion, estime le colonel Cristian Caballero, commandant de la Gaula Militar à Bogota. Ses hommes opèrent "toujours" de manière "totalement identifiée", insiste-t-il.

Se disant effrayé par l'insécurité, un vendeur de pièces détachées automobiles confie porter une arme à feu, parce que les criminels "viennent, appellent les gens dans les magasins, exigent de l'argent". "Si on n'obtempère pas, ils disent qu'ils vont nous tuer", s'alarme-t-il.

Certains conseillers municipaux du Centre démocratique (droite, opposition) encouragent l'assouplissement du port d'armes à Bogota, arguant que les citoyens ont "le droit de se défendre".

Le 4 mars, le commandant de la police de la capitale, José Gualdron, a annoncé devant le Parlement la mise en place de 1.500 "fronts de sécurité" dans toute la ville, comptant près de 34.000 personnes et impliquant "plus de 500 entreprises", sociétés privées de sécurité, chauffeurs de taxi, taxi-motos, hôtels, bars...

"La sécurité est la responsabilité de tous", a plaidé César Restrepo, secrétaire à la sécurité de la ville, pour résumer cette nouvelle "stratégie" voulue par le nouveau maire de centre-droit.

Dans le quartier du 7 Août, des affiches et de grandes banderoles ont fait leur apparition dans les rues, avec ligne d'appel : "Non à l'extorsion. Je ne paie pas! Je dénonce!".

Pour Isaac Morales, expert à la Fondation pour la paix et la réconciliation, la coopération avec les civils est une "réponse désespérée" de la police. C'est un "grand risque" qui pourrait "ouvrir une boîte de Pandore", met-il en garde.

U.M.Thomas--HHA