Les Tunisiens votent sur une Constitution très critiquée
Les Tunisiens votaient lundi sur une nouvelle Constitution très critiquée, qui renforce les pouvoirs du président Kais Saied au risque pour le pays, berceau du printemps arabe, de revenir à un régime autoritaire.
La Tunisie, confrontée à de graves difficultés économiques, aiguisées par le Covid et la guerre en Ukraine dont elle dépend pour ses importations de blé, est aussi très polarisée depuis que le président s'est emparé de tous les pouvoirs il y a un an, arguant de l'ingouvernabilité du pays.
La participation est le principal enjeu du référendum, où le oui a de fortes chances de l'emporter, les grands partis d'opposition dont le mouvement d'inspiration islamiste Ennahdha ayant appelé leurs électeurs à s'abstenir.
Lundi est jour férié et beaucoup de Tunisiens ont fait le pont. Un total de 13,6% -- exactement 1,213 million -- des 9,3 millions d'inscrits avaient voté à 14H30 GMT, a indiqué Farouk Bouasker, président de l'autorité électorale (Isie).
"L'affluence a été croissante dans la matinée mais a diminué pendant la période de sieste", a-t-il précisé, disant s'attendre "à une hausse notable surtout parmi les jeunes qui préfèrent venir en fin de journée".
Les premiers résultats sont attendus "mardi dans l'après-midi", a dit à l'AFP un porte-parole de l'Isie, Mansri Tlili.
Lundi matin, l'affluence était supérieure à ce qui avait été escompté, selon les journalistes de l'AFP.
- "Tout est catastrophique" -
Mongia Aouanallah, une retraitée de 62 ans, attend "une vie meilleure, pour que les enfants de nos enfants vivent mieux" car "tout est catastrophique".
Après avoir voté, le président a appelé à approuver sa Constitution pour "établir une nouvelle République fondée sur la vraie liberté, la vraie justice et la dignité nationale". Ennahdha a dénoncé des déclarations pouvant orienter le vote, représentant "une fraude au référendum".
Cette nouvelle loi fondamentale controversée, imposée par le président Saied, accorde de vastes pouvoirs au chef de l'Etat, en rupture avec le système parlementaire en place depuis 2014.
Le président désigne le chef du gouvernement et les ministres et peut les révoquer à sa guise. Il peut soumettre au Parlement des textes législatifs qui ont "la priorité". Une deuxième chambre représentera les régions, en contrepoids à l'Assemblée des représentants (députés) actuelle.
L'opposition et de nombreuses ONG ont dénoncé une Constitution "taillée sur mesure" pour M. Saied, et le risque de dérive autoritaire d'un président n'ayant de comptes à rendre à personne.
Sadok Belaïd, le juriste chargé par M. Saied d'élaborer la nouvelle Constitution, a désavoué le texte final, estimant qu'il pourrait "ouvrir la voie à un régime dictatorial".
- "Tous les pouvoirs" -
L'opposition a appelé au boycott du scrutin, invoquant un "processus illégal" et sans concertation.
Personnage complexe, le président Saied exerce le pouvoir de manière de plus en plus solitaire depuis un an.
Agé de 64 ans, il considère sa refonte de la Constitution comme le prolongement de la "correction de cap" engagée le 25 juillet 2021 quand, arguant des blocages politico-économiques, il a limogé son Premier ministre et gelé le Parlement avant de le dissoudre en mars, mettant en péril la seule démocratie issue du Printemps arabe.
Le nouveau texte "donne presque tous les pouvoirs au président et démantèle tous les systèmes et institutions pouvant le contrôler", a dit lundi à l'AFP Said Benarbia, directeur régional de la Commission internationale des juristes CIJ. Il lui donne "davantage de pouvoirs que la Constitution de 1959", élaborée sous Habib Bourguiba, en supprimant la séparation des pouvoirs et "un pouvoir judiciaire subordonné à l'exécutif".
"Aucun des garde-fous qui pourraient protéger les Tunisiens de violations similaires au (régime) Ben Ali n'existe", selon M. Benarbia convaincu que la nouvelle Constitution "codifie l'autocratie".
Pour l'analyste Youssef Cherif, des espaces de liberté restent garantis mais la question d'un retour à un régime dictatorial similaire à celui de l'ex-autocrate de Zine el Abidine Ben Ali, pourrait se poser "dans l'après Kais Saied".
Pour la majeure partie de la population, la priorité est ailleurs: une croissance poussive (autour de 3%), un chômage élevé (près de 40% des jeunes), une inflation galopante et l'augmentation du nombre de pauvres à 4 millions de personnes.
La Tunisie, au bord du défaut de paiement avec une dette supérieure à 100% du PIB, négocie un nouveau prêt avec le FMI qui a de bonnes chances d'être accordé mais exigera en retour des sacrifices (baisse des subventions aux produits de base, notamment), susceptibles de provoquer une grogne sociale.
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E.Mariensen--HHA