Pékin freine sa coopération avec Washington après la visite de Pelosi à Taïwan
La Chine a suspendu vendredi toute coopération avec les Etats-Unis sur le réchauffement climatique et d'autres domaines, faisant plonger les relations entre les deux pays à leur niveau le plus bas depuis des années, en représailles à la visite à Taïwan de la présidente de la Chambre des représentants américains Nancy Pelosi.
Mobilisant avions et navires de guerre, les plus grands exercices militaires jamais organisés par la Chine près de Taïwan, également en réaction au voyage de Mme Pelosi cette semaine, se sont poursuivis vendredi pour la deuxième journée d'affilée, Taipei fustigeant son "voisin malveillant" dont les manoeuvres l'ont littéralement encerclé pour trois jours.
Pékin va "suspendre les négociations sino-américaines sur le changement climatique" et annuler un entretien entre les dirigeants militaires ainsi que deux réunions sur la sécurité, a déclaré le ministère chinois des Affaires étrangères, reprochant à Mme Pelosi d'avoir traité avec "mépris" l'opposition de la Chine à sa visite à Taipei.
La Chine et les Etats-Unis, les deux plus importants émetteurs de gaz à effet de serre du monde, avaient noué un accord surprise sur le climat lors du sommet de la COP26 à Glasgow l'an dernier. Ils s'étaient engagés à travailler ensemble pour accélérer les actions pour le climat lors de la prochaine décennie et à se réunir régulièrement pour "s'attaquer à la crise climatique".
Le ministère des Affaires étrangères a également dit suspendre la coopération avec Washington sur le rapatriement des migrants illégaux, ainsi qu'en matière de justice, de criminalité transnationale et de lutte antidrogue.
La Chine continentale, qui considère que Taïwan fait partie de son territoire, a perçu la visite de Mme Pelosi, troisième personnage de l'Etat aux Etats-Unis, comme une provocation majeure.
Mme Pelosi s'est "gravement ingérée dans les affaires intérieures de la Chine et a porté atteinte à sa souveraineté et à son intégrité territoriale", a dénoncé le ministère des Affaires étrangères, annonçant "imposer des sanctions" contre elle et sa "famille proche", sans donner de détails.
Les exercices militaires doivent se poursuivre jusqu'à dimanche midi.
- La ligne médiane franchie -
Selon Taipei, à 17h00 vendredi (09H00 GMT), un total de 68 avions et 13 navires de guerre chinois avaient franchi depuis le début de la journée la "ligne médiane" du détroit de Taïwan, qui separe l'île du continent.
La veille, Pékin avait déjà tiré une dizaine de missiles balistiques et déployé son aviation et sa marine dans les six zones maritimes choisies pour les manoeuvres tout autour de Taïwan, s'approchant jusqu'à 20 km des côtes et perturbant des routes commerciales parmi les plus fréquentées du monde.
La chaîne publique CCTV a affirmé que des missiles chinois avaient même survolé Taïwan pour la première fois. Taipei n'a pas confirmé.
"Nous ne nous attendions pas à ce que notre voisin malveillant fasse étalage de sa puissance à notre porte, et mette arbitrairement en péril les voies navigables les plus fréquentées du monde par ses exercices militaires", a déclaré à la presse le Premier ministre taïwanais, Su Tseng-chang.
A Pingtan, une île chinoise située non loin des manoeuvres en cours, des journalistes de l'AFP ont aperçu vendredi à la mi-journée un avion de chasse dans le ciel.
Portant des parapluies pour se protéger d'un soleil de plomb, des touristes tentaient de prendre en photo l'appareil tandis qu'au loin, dans le détroit de Taïwan, on apercevait un navire militaire chinois.
- "Notre pays est puissant" -
"On espère qu'on pourra se réunifier avec Taïwan bientôt. On n'a peur de personne, notre pays est puissant", a confié à l'AFP l'un d'eux, M. Liu, 40 ans, venu de la province du Zhejiang (est).
Non loin de lui, Mme Wang, vêtue de jaune, était du même avis: "J'espère que la Chine pourra bientôt réintégrer Taïwan, mais je ne veux pas de guerre. J'espère que ce problème pourra être réglé pacifiquement, car nous les Chinois, nous sommes amicaux".
"Il faut que la Chine montre sa force maintenant", estimait un autre touriste, M. Zhou, 40 ans. Même si "nous aimons la paix".
Le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken a fustigé vendredi les manoeuvres chinoises, "des provocations" qui représentent "une escalade importante" des tensions aux yeux des Etats-Unis.
Le Japon a exprimé une protestation diplomatique formelle contre Pékin, estimant que cinq des missiles chinois étaient tombés à l'intérieur de sa zone économique exclusive (ZEE).
"Nous appelons à l'arrêt immédiat des exercices militaires", a déclaré le Premier ministre nippon Fumio Kishida.
A Tokyo, dernière étape de sa tournée asiatique mouvementée, Mme Pelosi a affirmé que les Etats-Unis "ne permettront pas" à la Chine d'isoler Taïwan, assurant que son déplacement "ne visait pas à changer le statu quo ici en Asie, à changer le statu quo à Taïwan".
Les manoeuvres chinoises empiètent sur certaines des routes maritimes les plus fréquentées de la planète, par lesquelles des équipements électroniques essentiels provenant des usines d'Asie de l'Est sont acheminés vers les marchés mondiaux.
Le Bureau maritime et portuaire de Taïwan a mis en garde les navires passant dans cette zone et plusieurs compagnies aériennes internationales ont indiqué à l'AFP dérouter leurs vols pour éviter l'espace aérien autour de l'île.
Les analystes s'accordent à dire que, malgré ces exercices militaires, Pékin ne souhaite pas pour l'instant une confrontation armée.
"La dernière chose que Xi souhaite est le déclenchement d'une guerre accidentelle", commente à l'AFP Titus Chen, professeur associé de sciences politiques à l'Université nationale Sun Yat-Sen de Taïwan.
P.Garcia--HHA