"Ni papier, ni encre": au Liban, le service public en déliquescence
Sans climatisation malgré une chaleur étouffante, le juge libanais Faysal Makki a soif mais essaie de ne pas trop boire, les toilettes du palais de justice étant hors service.
Les institutions du Liban, plongé dans une crise économique et financière sans précédent, ont atteint un état de délabrement qui reflète l'effondrement général du pays.
L'imprimante du juge Makki fonctionne, mais pour l'utiliser, il doit apporter lui-même ramettes et cartouches d'encre car le ministère n'a plus les moyens d'acheter les fournitures de bureau.
"Il n'y a ni papier, ni encre, ni stylos, ni enveloppes, ni toilettes en service ni même eau courante", déplore M. Makki, juge depuis 21 ans.
"J'essaie de ne pas boire d'eau au bureau car si j'ai besoin d'aller aux toilettes, je dois soit rentrer chez moi soit aller dans les bureaux voisins du syndicat des avocats", dit-il à l'AFP.
- Coincés dans l'ascenseur -
Dans les bureaux du ministère de la Justice, il n'est pas rare, en cas de coupure de courant, que des employés se retrouvent coincés dans un ascenseur ou doivent utiliser leur téléphone portable pour s'éclairer dans les escaliers.
Un des collègues de M. Makki s'est même cassé un bras en tombant dans les escaliers, faute de lumière.
Un nombre croissant de fonctionnaires, dont tout le salaire passait dans les frais de transport pour se rendre au travail, font grève depuis des mois ou restent chez eux avec l'accord de leur employeur.
"Les besoins de base pour une institution publique ne sont plus garantis", dit M. Makki.
Le Liban est ravagé depuis 2019 par une crise économique inédite imputée par une grande partie de la population à la mauvaise gestion, la corruption, la négligence et l'inertie d'une classe dirigeante en place depuis des décennies.
La livre libanaise a perdu plus de 90 % de sa valeur par rapport au dollar tandis que les salaires du secteur public ne dépassent pas en moyenne 40 euros par mois.
Le président et le Premier ministre ne sont pas parvenus à s'entendre sur un nouveau gouvernement depuis l'expiration du mandat du cabinet sortant en mai. Le Parlement, qui doit encore approuver le budget 2022, s'est rarement réuni depuis.
Christine, fonctionnaire de 50 ans, ne va travailler au ministère de l'Intérieur qu'une fois toutes les deux semaines, juste en-dessous du seuil de 15 jours qui impliquerait sa démission de facto.
Faute d'électricité, les employés doivent monter sept étages à pied dans l'obscurité, confie cette mère de deux enfants qui a demandé à utiliser un pseudonyme.
"Les dalles des escaliers sont fissurées (...) vous risquez de vous casser le cou", ajoute Christine, dont le salaire mensuel est passé de 1.600 euros avant la crise à un peu moins de 75 euros aujourd'hui.
- "Vers un effondrement total" -
"Il n'y a ni climatisation, ni papier, ni photocopieuses, ni stylos", dit-elle encore. "Vous devez emmener une bouteille d'eau aux toilettes car il n'y a pas d'eau courante."
Partout au Liban, les institutions en déliquescence privent les citoyens des services les plus élémentaires.
Les coupures de courant au Parlement ont forcé les députés à reporter des sessions et la Sûreté générale s'est récemment retrouvée à court de passeports.
L'armée libanaise peut à peine payer ses soldats, ce qui oblige nombre d'entre eux à démissionner ou à avoir un deuxième emploi.
Au ministère de l'Environnement, situé près du port de Beyrouth qui a été ravagé par une énorme explosion il y a deux ans comme des quartiers entiers de la capitale, les dégâts n'ont pas été complètement réparés.
"Les portes sont toujours cassées, donc elles ne ferment pas (...) Les faux plafonds sont toujours endommagés", raconte à l'AFP le ministre de l'Environnement Nasser Yassin.
Le bâtiment principal de la municipalité de Tripoli, dans le nord du pays, incendié l'an dernier par des manifestants exaspérés par la crise, est un autre exemple frappant.
Les employés travaillent dans des bureaux aux murs détruits et couverts de suie, sans climatisation et à peine éclairés.
"Les choses ne vont faire qu'empirer", déclare à l'AFP Riad Yamak, ancien maire de la ville. "On se dirige vers un effondrement total et un chaos généralisé", prévient-il.
A.Dankwers--HHA