"Se soumettre ou démissionner": à Hong Kong, la fuite des cerveaux touche enseignants et élèves
A l'heure de la rentrée scolaire à Hong Kong, Wong, un enseignant, redoute de ne pas avoir d'autre choix que de démissionner en raison de la situation politique liée à la reprise en main du territoire par Pékin.
A 34 ans, il pourrait bientôt faire partie des professeurs et élèves ayant choisi l'exode à la suite de ces changements.
Selon les derniers chiffres, plus de 4.000 enseignants hongkongais ont quitté leur emploi au cours de l'année scolaire écoulée, soit 70% de plus que l'année précédente.
"Ils n'ont aucune foi dans l'avenir de Hong Kong ou celui du secteur (éducatif). Il est difficile d'élever quelqu'un dans cet environnement", a déclaré à l'AFP M. Wong, qui n'a souhaité donner que son nom de famille.
La répression politique a coïncidé avec la pandémie de coronavirus qui coupe le territoire du reste du monde depuis plus de deux ans du fait d'une politique sanitaire draconienne en ligne avec la stratégie "zéro-Covid" de la Chine, ce qui a engendré de nombreux départs.
Les écoles primaires et secondaires avaient enregistré quelque 30.000 élèves de moins en septembre 2021 par rapport au mois d'octobre précédent.
M. Wong, enseignant depuis plus d'une décennie, affirme que dans sa classe, qui comptait 32 adolescents, cinq ont quitté l'établissement pour suivre leur famille et partir vivre à l'étranger.
"Ils ne partent pas parce qu'ils n'aiment pas l'école, mais à cause du contexte à Hong Kong", souligne-t-il.
- Patriotisme -
C'est à son image que la Chine remodèle la ville où, longtemps, dissidence et pluralisme politique ont été tolérés.
Les professeurs ont reçu l'ordre d'inculquer le patriotisme et de se conformer à la loi sur la sécurité nationale imposée en 2020 par Pékin pour étouffer toute dissidence.
Les programmes éducatifs ont été modifiés pour être dans la droite ligne de l'idéologie du Parti communiste chinois.
Début août, de la maternelle au lycée, les enseignants ont reçu l'ordre "d'étudier et d'apprendre les principaux messages" d'un discours récent du président chinois Xi Jinping.
Les élèves et les parents ont également été encouragés à dénoncer les professeurs qui pourraient enfreindre la loi sur la sécurité.
M. Wong a reçu en 2021 un avertissement du ministère de l'Education à la suite de dénonciations anonymes concernant un cours sur la désobéissance civile.
"Cela a anéanti la confiance qui est fondamentale pour enseigner", regrette-t-il.
Entre 2019 et 2021, les autorités de la ville ont reçu 344 plaintes à l'encontre de professeurs en rapport aux immenses manifestations pro-démocratie de 2019. Quelque 55% des cas ont été considérés comme fondés.
Le directeur d'un lycée a affirmé à l'AFP avoir demandé au personnel de faire profil bas et de respecter à la lettre les directives gouvernementales.
"Tout le monde est très prudent... si (un sujet) a un caractère politiquement sensible, alors nous le contournons", a reconnu ce directeur ayant requis l'anonymat.
- Moins qualifiés -
Les autorités rejettent l'idée d'une vague migratoire et font valoir que différentes raisons ont conduit les enseignants à quitter leur poste, invoquant notamment des départs en retraite.
Selon le ministre de l'Education, les écoles fonctionnent globalement bien et il y a suffisamment de professeurs qualifiés pour compenser un taux de départs "légèrement supérieur".
Un récent sondage effectué auprès de 140 écoles montre que chaque établissement a perdu en moyenne 32 élèves et sept enseignants au cours de l'année écoulée.
Le journal local Ming Pao a épluché ses petites annonces et constaté qu'au moins 200 écoles étaient encore à la recherche d'enseignants fin juillet, alors que les années précédentes, la plupart des postes vacants étaient pourvus fin mai.
Les administrateurs affirment que certaines écoles sont contraintes d'embaucher des personnes moins qualifiées.
L'éducation est loin d'être le seul secteur touché par la fuite des cerveaux. La population active de la ville a chuté d'environ 6% depuis 2018 pour atteindre 3,75 millions de personnes, selon les derniers chiffres officiels, le chiffre le plus bas depuis près d'une décennie.
La nouvelle génération d'enseignants pèse désormais le pour et le contre, à l'image de Mak, 23 ans, diplômé de l'université qui a passé un an à enseigner l'anglais dans une école secondaire sans avoir le diplôme de professeur.
"Je vais continuer à enseigner mais pas nécessairement à long terme", a-t-il ajouté.
Mak a le sentiment d'avoir peu d'emprise sur l'évolution de sa profession: "Soit vous vous soumettez, soit vous démissionnez", soupire-t-il.
J.Fuchs--HHA