Elizabeth II et Chypre, des relations entachées par le passé colonial
L'annonce de la mort de la reine Elizabeth II a déclenché des réactions contrastées à Chypre, où son règne est associé à un passé douloureux marqué par la lutte contre la puissance coloniale britannique et la division de l'île méditerranéenne.
A la croisée des chemins entre Est et Ouest, Chypre a attiré la convoitise d'empires successifs, allant des Grecs aux Ottomans. Et en 1878, l'île est passée sous administration britannique et devenue une colonie de la Couronne en 1925 avant d'obtenir son indépendance en 1960.
"C'était une bonne reine, mais pas pour Chypre", déclare à l'AFP Andreas, un retraité de 83 ans, qui n'a pas voulu donner son nom complet.
Comme lui, les Chypriotes qui connaissent la période coloniale jugent Elizabeth II responsable de la condamnation à mort de neuf jeunes combattants de l'EOKA, organisation paramilitaire ayant lutté contre la domination britannique entre 1955 et 1959 et prôné le rattachement à la Grèce.
"Elle n'a pas gracié les jeunes qui se battaient pour Chypre, pour la liberté, et ils (les Anglais, NDLR) les ont pendus", a-t-il ajouté.
Si l'on en croit cependant le quotidien Cyprus Mail, principal journal anglophone de l'île, "la reine n'a pas signé les condamnations à mort (...) Le pouvoir d'accorder la grâce revenait au gouverneur (de l'île) et pas à la reine".
- "Rentrez chez vous!" -
Ces anciennes blessures ont refait surface en juin dernier lors des célébrations du jubilé de platine de la reine organisées à Chypre par l'armée britannique qui conserve deux importantes bases dans le sud et l'est de l'île.
Un grand concert caritatif prévu à cette occasion dans un site historique dans le sud-ouest de l'île a notamment dû être transféré vers l'une de ces bases après que des Chypriotes ont dénoncé un tel évènement, qualifiant la reine de "tueuse".
En octobre 1993, lors de sa première et unique visite sur l'île, la reine avait par ailleurs été huée par un groupe de contestataires aux cris de "Rentrez chez vous!".
Selon des observateurs de la famille royale, cet accueil reçu dans l'ancienne colonie a été l'un des pires qu'elle ait eus lors de ses innombrables voyages.
Membre de l'Union européenne qui compte environ un million d'habitants, Chypre est divisée depuis son invasion en 1974 par l'armée turque de son tiers nord, en réaction à un coup d'Etat visant à rattacher le pays à la Grèce.
Cette division nourrit une autre rancune envers l'ancienne puissance coloniale, qui était garante de la souveraineté de l'île en vertu du traité d'indépendance et qui est accusée de ne pas être intervenue pour stopper l'invasion turque.
Membre du Commonwealth, Chypre entretient toutefois des liens étroits avec la Grande-Bretagne.
L'île abrite une importante communauté d'expatriés et de retraités britanniques et de nombreux Chypriotes ont choisi pendant longtemps l'Angleterre pour faire leurs études universitaires.
Appréciée pour son soleil, ses plages et ses eaux cristallines, "l'île d'Aphrodite" est en outre très prisée par les touristes britanniques, qui représentent le plus gros contingent de visiteurs.
Sur Twitter, le président chypriote Nicos Anastasiades a adressé ses "sincères condoléances" pour le décès de la reine.
Et dans la rue, des Chypriotes exprimaient leur peine.
"Nous sommes tristes (...) Nous souhaitons que le nouveau roi soit comme elle. Vive le roi!", a déclaré à l'AFP Alec Ioannou, près de la rue animée Ledra, dans la vieille ville de Nicosie, surnommée à la fin des années 50 "Murder Mile" (le kilomètre de la mort, NDLR), en allusion aux attaques de Chypriotes-grecs contre l'armée britannique.
L.Keller--HHA