A Jérusalem-Est, un quartier palestinien craint de devenir une "île" cernée par Israël
Farid Salmane vit au sommet d'une colline de Jérusalem-Est, avec une vue dégagée sur la ville, ses quartiers résidentiels et ses autoroutes. Mais ce Palestinien devrait voir sortir de terre, juste en contrebas de chez lui, des tours destinées à des milliers de colons israéliens.
Les autorités israéliennes ont préapprouvé la semaine dernière le projet de construction de la colonie de Givat Shaked, soit 700 unités de logement sur une petite parcelle de 3,8 hectares à la lisière de Beit Safafa, quartier de Jérusalem-Est, secteur occupé et annexé par Israël.
Sur le terrain recouvert de déchets en plastique et de broussailles grillées par le soleil, Farid Salmane explique que "comme n'importe quel Palestinien, (il a) peur de ce qui va se passer quand ça va devenir une colonie".
"Demain ils seront juste ici, tout autour, de notre côté de la frontière", craint ce jardinier de 66 ans, faisant référence à la "Ligne verte" à laquelle est collé Beit Safafa et séparant théoriquement l'est et l'ouest de Jérusalem.
D'après l'Etat hébreu, une grande partie du terrain est constituée de parcelles achetées par des Juifs avant 1948, date de la création d'Israël, et peuvent donc, d'après une loi israélienne, être récupérées.
- Terre "arrachée" -
Beit Safafa, quartier de près de 16.000 habitants, est bordé au nord par de grands axes routiers reliant le centre de Jérusalem aux colonies de Cisjordanie occupée, au sud-ouest par la colonie de Gilo et au sud-est par celle de Givat Hamatos.
Avec le projet de Givat Shaked, Beit Safafa se retrouverait encerclé, coupé du reste de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie adjacente, notamment de la grande ville de Bethléem située à quelques kilomètres.
"C'est comme une île palestinienne", relève Daniel Seidemann, avocat israélien et spécialiste de la Ville Sainte.
Lancé en 1995, le plan israélien avait été vivement condamné à l'étranger et examiné jusqu'au Conseil de sécurité de l'ONU. Washington avait opposé son veto à une résolution mais fait pression sur Israël pour que le projet soit abandonné, craignant qu'il fasse dérailler le processus de paix avec les Palestiniens en pleine période des accords d'Oslo.
Avec la renaissance du projet, le bureau américain en charge des Affaires palestiniennes a estimé qu'il était "essentiel pour Israël et l'Autorité palestinienne de s'abstenir de toute mesure unilatérale exacerbant les tensions".
"Cela inclut assurément la colonisation", a indiqué un porte-parole à l'AFP.
Le plan renaît à moins de deux mois de nouvelles élections législatives en Israël, prévues le 1er novembre. "Le gouvernement est sous pression (...) et ne fera rien qui fâchera la droite", soulève M. Seidemann, fondateur de l'organisation anticolonisation Ir Amim.
"Comme je m'y suis engagée, malgré toutes les pressions internes et externes, le projet de Givat Shaked a été approuvé", s'est félicitée la semaine dernière la ministre de l'Intérieur, Ayelet Shaked (droite radicale).
"Il est impensable d'empêcher le développement et la construction de cette zone, comme du reste de la ville", a-t-elle ajouté dans un entretien avec un site d'informations local, vantant un projet devant "augmenter l'offre de logements".
- "Penser à nous" -
Pour M. Seidemann, le projet n'a rien à voir avec les besoins en logements, sinon ceux-ci seraient destinés aux Palestiniens.
"Au contraire, la terre est arrachée à Beit Safafa pour en faire un quartier israélien, pour des raisons géopolitiques et idéologiques: établir le pouvoir d'Israël seul, dans l'entièreté de Jérusalem", explique-t-il.
Israël affirme que Jérusalem est sa capitale "indivisible", tandis que les Palestiniens espèrent faire de Jérusalem-Est la capitale de l'Etat auquel ils aspirent.
"En établissant une présence israélienne écrasante à Jérusalem-Est, cela y fragmentera et marginalisera les Palestiniens", renvoyant une capitale palestinienne à l'état de chimère, dit M. Seidemann.
La municipalité israélienne a assuré à l'AFP prévoir la construction de résidences à Beit Safafa, sans plus de précisions.
Le responsable du conseil de Beit Safafa, Mohamed Aliane, promet de saisir la justice pour obtenir, "au minimum", que les logements palestiniens du quartier cessent d'être détruits par Israël.
L'Etat hébreu démolit fréquemment des biens à Jérusalem-Est qu'il dit construits sans permis. Les Palestiniens affirment que ces autorisations sont quasi impossibles à obtenir.
Farid Salmane est excédé par ce deux poids deux mesures: "Nous ne sommes pas contre le fait de construire mais ils sont aussi censés penser à nous".
H.Brunner--HHA