Brésil: joie et appréhension après l'élection "historique" de députées trans
L'élection des premières députées trans au Parlement brésilien est une avancée "historique" pour les droits des personnes LGBT mais l'enracinement du bolsonarisme risque d'augmenter la violence politique à leur égard, selon des expertes.
"Il est désormais possible de dire: trans noire élue!" s'est réjouie sur Twitter Erika Hilton, 29 ans, l'une des deux députées transgenres élues dimanche aux législatives organisées en parallèle du scrutin présidentiel.
Mais le score du chef d'Etat d'extrême droite Jair Bolsonaro, qui prend régulièrement la communauté LGBT pour cible, est venu troubler les célébrations: il a obtenu 43% des voix, bien plus que prévu par les sondages.
Autre signe du renforcement du bolsonarisme: dans le nouveau Parlement où les élues trans siégeront, les députés de la famille politique de Bolsonaro, le Parti Libéral, seront 99, soit 23 de plus qu'actuellement.
"J'ai de l'appréhension" face à ces résultats, admet auprès de l'AFP Erika Hilton, qui représentera l'Etat de Sao Paulo au Parlement fédéral à Brasilia, même si elle se dit "très heureuse et pleine d'espoir" après son élection "historique".
Élue conseillère municipale dans la métropole de Sao Paulo en 2020, Erika Hilton portera désormais son combat à la Chambre des députés et luttera "pour éradiquer la faim et la misère dans notre pays et garantir les droits de la communauté LGBTQIA+".
Mais son exposition accrue due à son nouveau mandat n'est pas sans risques.
- Gilet pare-balle -
"Les Bolsonaristes encouragent la violence que les personnes trans ont vécue en politique mais aussi en dehors", explique à l'AFP Ligia Fabris, professeure et coordinatrice du programme diversité de l'école de Droit de la Fondation Getulio Vargas.
Cet enracinement du bolsonarisme est donc "préoccupant" pour "l'intégrité physique et psychologique" des élues, estime cette spécialiste.
Pour Keila Simpson, présidente de l'Association nationale des travestis et transsexuels (Antra), les alliés de Bolsonaro sont "des personnes qui n'arrivent pas à vivre avec la diversité".
Beaucoup de ces élus, souvent évangéliques et ultra-conservateurs, ont des positions relevant du "fondamentalisme religieux", estime Mme Simpson, qui juge "évident" que les nouvelles parlementaires trans "vont souffrir" dans ce contexte.
Duda Salabert, l'autre femme trans à avoir été élue au Parlement fédéral, est allée voter dimanche à Belo Horizonte dans l’État de Minas Gerais (sud-est) avec un gilet par- balle, comme la police le lui avait recommandé.
Elle dit avoir reçu "cinq menaces de mort au cours des 30 derniers jours, par email ou par lettre". "Un site web a même été créé exclusivement pour décrire les façons dont ils veulent me tuer," ajoutait cette femme de 41 ans sur Twitter fin septembre.
Le Brésil a été le pays le plus dangereux au monde pour les personnes trans en 2021, selon le projet Trans Murder Monitoring, qui a recensé 92 morts l'an dernier.
Malgré ce contexte inquiétant, les nouvelles élues se réjouissent tout de même de leur victoire.
"En dépit (...) des menaces de mort de l'extrême droite, nous avons gagné les élections!" s'est félicitée Duda Salabert sur les réseaux sociaux dimanche soir.
- "Forces antagonistes"-
Selon l'association 'VoteLGBT', 18 personnes LGBT+ ont été élues dimanche, toutes élections - municipales et nationales - confondues.
L'Antra a pour sa part noté une augmentation de 44% des candidatures de personnes transgenres en 2022 par rapport à 2018.
Au delà des deux députées fédérales, Linda Brasil est devenue la première députée trans de l'Etat de Sergipe (nord-est), Dani Balbi a été élue au Parlement de l'État de Rio de Janeiro, et Carolina Iara à celui de Sao Paulo.
Le Brésil progresse en termes d'inclusion des personnes trans dans la société, selon Ligia Fabris, qui rappelle que la Cour Suprême a décidé en 2018 d'autoriser les personnes trans à changer de genre pour l'état civil sans passer par une intervention chirurgicale ni devant un juge.
Mais la chercheuse relève le paradoxe entre percée des candidats LGBT d'un côté, et enracinement d'un bolsonarisme hostile de l'autre
"C'est l'affrontement de deux forces antagonistes", analyse-t-elle.
"Le projet des bolsonaristes n'est pas seulement de revenir à la situation d'avant la reconnaissance des personnes trans, mais c'est un projet de société" encore plus ultra-conservateur, dit-elle.
La nouvelle élue à Brasilia Erika Hilton ne baisse pas les bras. Elle attend du Brésil la création d'un "nouveau pôle progressiste, avec de nouvelles idées et propositions qui visent à changer structurellement notre pays".
"Nous aurons du travail, mais aujourd'hui nous sommes déjà dans de meilleures conditions qu'hier", assure-t-elle.
E.Gerber--HHA