La médecine de guerre au défi de s'adapter à des champs de bataille durcis
Après deux décennies de prises en charge d'urgence sur les théâtres afghan ou sahélien, la médecine de guerre est sommée de s'adapter à de possibles conflits majeurs plus létaux, dans lesquels il sera bien plus difficile d'évacuer rapidement les militaires blessés.
"Depuis l'Afghanistan, nous étions sur des postures de contre-terrorisme, avec un soutien médical de proximité dans un environnement favorable. Nous n'avions pas de problèmes d'évacuation sanitaire ou d'absence de structure hospitalière", fait valoir le médecin-chef Maurice, du commandement français des opérations spéciales (COS), dont l'anonymat des membres est garanti par la loi.
Mais le retour des conflits dits de haute intensité, comme celui qui se joue en Ukraine, avec ses frappes en profondeur, un espace aérien contesté, des difficultés logistiques et des pertes humaines vertigineuses, promet de bouleverser les procédures des services de santé militaires occidentaux, taillées pour les conflits asymétriques contre des jihadistes.
Le sujet est au coeur d'un colloque réunissant jeudi et vendredi à Paris des médecins militaires d'une trentaine de pays, sous l'égide du service de santé des forces spéciales françaises.
Dans les années 2000, quelques procédures simples ont révolutionné les soins sur le champ de bataille: la généralisation de l'usage du garrot pour arrêter une hémorragie artérielle --tous les soldats français et américains en sont équipés-- ou les transfusions de sang total (avec tous ses constituants: globules rouges, blancs et plaquettes), qui permettent d'améliorer la prise en charge des blessés atteints d'hémorragie.
Avec un principe cardinal: prodiguer ces soins d'urgence vitale au cours de l'heure suivant la blessure --un laps de temps surnommé "l'heure en or" ou "golden hour".
- De la "golden hour" au "golden day" -
Conséquence: pendant les guerres d'Irak et d'Afghanistan, la médecine militaire américaine a atteint le taux le plus élevé de survie à des blessures de guerre de l'histoire.
"Aujourd'hui nous sommes capables d'envoyer un blessé au bloc d'un hôpital de campagne au Sahel en moins d'une heure puis vers un hôpital en France en moins de 24h. Je ne suis pas sûr que nous serons capables de tenir ces délais en cas de haute intensité", avertit le médecin-chef Maurice, qui dirige le service de santé des FS.
"Sur le champ de bataille de demain, la +medevac+¨(évacuation sanitaire, NDLR) sera quasiment impossible ou très contestée, les structures de soin seront des cibles... L'évacuation de nos blessés risque d'être compromise et il va nous falloir les prendre en charge au-delà de la première heure. On passe de la +Golden hour+ au +golden day+", souligne-t-il.
Un vrai changement de paradigme. "Avant, nous étions des techniciens du sauvetage au combat, demain il nous faudra redevenir des cliniciens de soins prolongés, capables de pratiquer la médecine sans environnement technologique très évolué et avec des blessés peut-être moins graves au départ mais dans un environnement dégradé", résume-t-il.
Ce qui signifie se préparer aux risques d'hypothermie, de gelures ou encore d'infections comme la gangrène, qui avaient disparu grâce à des chaînes d'évacuation extrêmement rapides.
- Stocks de sang -
Pour s'adapter, les FS misent aussi sur l'innovation, pour essayer d'améliorer les capacités de transfusion et de stockage de sang total à l'avant, une transfusion précoce étant salvatrice. Objectif: rapprocher le sang du blessé et non l'inverse.
Pour répondre à ce défi dans une zone de guerre aux chaînes logistiques fragiles, le SSA a développé les Golden Hour Box (GHB), des dispositifs de transport de produits sanguins de type glacières permettant le maintien du contenu entre 2 et 10 degrés pendant deux jours.
En parallèle, "il faudra peut-être être capable de collecter de manière plus importante sur la ligne de front", en recueillant des poches de sang auprès de soldats du même groupe sanguin, fait valoir le médecin-chef Maurice.
Reste la gestion d'un afflux massif de blessés, corollaire de la haute intensité. Ainsi, en cas d'engagement majeur, prévient-il, il va falloir "accepter de s'engager dans des opérations avec la parfaite conscience qu'aucun service de santé des armées ne saura gérer 6.000 blessés par jour avec le niveau de performance actuel".
Pour préparer l'avenir, il faut investir "de manière majeure" dans le service de santé des armées, estimait récemment le ministre français des Armées Sébastien Lecornu, en avertissant qu'"il n'existe pas d'armée qui peut se projeter sans avoir l'assurance que ça suivra sur le terrain sanitaire".
R.Hansen--HHA