A Cérilly, la vente éclair et record des plus beaux chênes d'Europe
Soudain, des applaudissements ont rompu le silence de la salle de vente aux enchères de l'Office national des forêts (ONF). Tout s'est joué en 30 secondes: le plus beau lot de chênes de la forêt domaniale de Tronçais, dans l'Allier, est parti à plus d'un million d'euros.
Les 1.539 m3 de la parcelle 50, des chênes nés sous la Restauration, étaient fort convoités. La Sogibois, filiale des Tonnelleries François Frères (TFF Group), a parié gros et emporté la mise: "On est satisfait sans l'être: on a les meilleurs bois mais on a payé trop cher", grogne son directeur général Bernard Gendre.
Au total, TFF a acheté pour plus 4,5 millions d'euros de bois. Le patriarche de la vieille maison, Jean-Robert François, 80 ans, est encore un peu étourdi: "C'est une somme. Nous répondons à la demande de clients prestigieux aux Etats-Unis, en Nouvelle-Zélande ou en Afrique du Sud, qui veulent des bois exceptionnels où vieilliront les plus grands crus du monde", explique-t-il à l'AFP.
- Savoir-faire centenaire -
Ce mercredi, l'ONF, qui gère les 11 millions d'hectares de forêts publiques françaises, organisait sa plus prestigieuse vente de l'année: 62 lots pour 44.000 m3 de bois, vendus au plus offrant - à condition d'effectuer la première transformation sur le sol européen.
Bilan de la vente: 15 millions d'euros. Un record. "En une heure et demie, on a fait 5% du chiffre d'affaires annuel attendu en 2022 pour la vente de bois de l'ONF", se félicite Aymeric Albert, chef du département commercial bois, qui tablait initialement sur "10 à 13 millions".
"Nous sommes les seuls au monde à avoir des chênes de cette qualité. Avec ce bois, les grands tonneliers ne vendent pas une barrique en chêne, ils vendent une barrique en chêne de la parcelle 50 de Tronçais", explique-t-il.
La vente a débuté à 9H30. Les acheteurs, une cinquantaine, se connectent dans la salle, comme les tonneliers Charlois et TFF, ou à distance, à l'instar de Canadell, autre géant du secteur.
Ils achètent du bois sur pied, vivant, qui continue de grandir dans la forêt voisine de Tronçais, une des plus belles futaies régulières d'Europe, dont le savoir-faire centenaire a récemment été inscrit à l'inventaire du patrimoine culturel immatériel français.
Depuis des mois, les forestiers sillonnent les parcelles pour estimer les arbres. Les plus beaux chênes portent leurs marquages, au fluo bleu, vert ou orange. Ils auront 18 mois pour aller les couper.
Dans la salle, tout va très vite: 30 secondes pour faire une offre, sans connaître celles des concurrents. Le résultat est immédiatement annoncé.
Quelques "Houhh" de stupéfaction s'échappent à mesure que les lots remarquables se succèdent. "Les prix se sont envolés. On a fait une cinquantaine de propositions et on repart avec cinq lots", relate Patrick Larrivé, responsable des approvisionnements chez Charlois.
Le groupe familial travaille entre 80 et 100.000 m3 de chêne par an, dont 80% valorisés dans ses scieries. "Heureusement, on a encore de la réserve", résume l'acheteur.
- "Grains très fins" -
Beaucoup repartent bredouilles. La poussée de la demande, après des vendanges remarquables, tient surtout à la raréfaction de l'offre, grignotée par les bouleversements du climat.
"Les volumes récoltés sont en baisse du fait de la difficulté à renouveler des forêts. Le chêne souffre des coups de chaud, il cuit" et il faut parfois couper plus jeunes des arbres fragilisés, explique Aymeric Albert.
Un sujet d'attention pour Hélène Génin, directrice technique de Château Latour, où l'élevage du vin se fait uniquement en barriques de chêne français, pioché chez 14 fournisseurs.
"Avoir des chênes qui poussent de manière très régulière et lente permet d'avoir des grains très fins et un bois riche en composés aromatiques", explique-t-elle. "S'ils réduisent l'âge des arbres, il faudra étudier l'impact sur la tanification".
L'ONF se veut malgré tout confiant: il mêle essences et âges, teste de nouvelles espèces et espère que l'écosystème trouvera son équilibre.
Dernier lot de la vente, un chêne de 220 ans est emporté à 25.082 euros. Une joie pour Claire Quiñones, directrice commerciale de la vente, qui voit valorisé "le travail de 15 générations de forestiers", digne "du temps des cathédrales".
F.Fischer--HHA