Equateur: dans Guayaquil, paralysée et en guerre ouverte contre les narcotrafiquants
Un véhicule s'arrête devant un poste de police: deux agents observent anxieux derrière un mur, l'un d'eux brandissant un pistolet. Dans le port équatorien de Guayaquil paralysé par l'état d'urgence et la violence des narcotrafiquants, le moindre mouvement est devenu suspect.
Au coeur de ce port de 2,8 millions d'habitants, poumon économique de l'Equateur, les gangs montrent depuis mardi leur puissance de feu : fusillades, attaques à l'explosif, attentats à la voiture piégée contre des commissariats, des stations service ou un hôpital sont lancés en représailles d'un transfèrement de prisonniers.
A proximité du principal établissement pénitentiaire de Guayaquil (sud-ouest), appelé Guayas 1, on entend encore de temps en temps des coups de feu et des explosions.
Le soir venu les rues se vident. Le couvre-feu est en vigueur à partir de 21H00 (02H00 GMT) : les policiers sont alors en alerte maximum.
L'administration pénitentiaire attribue les tirs et les attaques à la grenade à des détenus "membres de groupes criminels organisés", cette prison étant contrôlée par des bandes de trafiquants de drogue.
Dans la ville déserte, les forces de l'ordre patrouillent toutes lumières éteintes.
Les postes de contrôle installés à travers la ville sont une cible facile pour les gangs, qui peuvent apparaître à tout moment et déclencher des fusillades meurtrières.
Les stations-service, d'habitude ouvertes 24 heures sur 24, ferment dès la tombée de la nuit. Des cônes oranges empêchent les véhicules d'y pénétrer.
-"Danger de mort"-
Dès qu'une voiture apparaît, l'alerte est donnée. "C'est devenu un travail ou l'on est à chaque instant en danger de mort", déclare sous couvert d'anonymat un jeune employé de 21 ans.
Il craint d'être tué "sans pitié" par des hommes armés. "Nous devons empêcher aussi que quelqu'un passe et laisse dans la station un sac, une valise, sans qu'on s'en aperçoive", dit-il, ajoutant avoir vu "des bombes exploser".
En cas d'attaque, sa mission est claire : couper l'électricité de la station-service afin d'éviter une explosion.
Le président Guillermo Lasso a qualifié cette situation de "guerre ouverte" et n'a pas hésité à étendre l'état d'urgence en vigueur depuis mardi à une troisième province, à mobiliser l'armée et à la déployer dans la prison de Guayas 1, tombée entre les mains d'une poignée de gangs : les "Lobos", "Choneros", "Tiguerones" ou "Chone Killer".
"Ce gouvernement ne cédera pas aux narco-terroristes : ils ne pourront pas imposer leur volonté dans le pays", a déclaré le chef de l'Etat.
L'état d'urgence est en vigueur dans les provinces de Guayas et Esmeraldas depuis mardi et désormais aussi à Santo Domingo de los Tsáchilas (ouest), totalisant six millions d'habitants, soit un tiers de la population totale de l'Equateur, dont les garanties constitutionnelles sont restreintes pendant 45 jours.
Les images de centaines de détenus couchés par terre, torse nu et mains liées dans le dos, ont fait le tour des réseaux sociaux.
Les violences ont fait depuis mardi huit morts et 23 blessés, pour la plupart des policiers et des militaires.
Quinze policiers et militaires ont notamment été blessés jeudi au cours d'une nouvelle mutinerie dans la prison de Guayas 1, investie par 1.300 policiers.
Les narcotrafiquants, dont certains sont liés aux cartels mexicains, livrent une guerre dans les rues et dans les prisons en Equateur, où des massacres ont fait près de 400 morts depuis février 2021.
Situé entre la Colombie et le Pérou, les plus grands producteurs mondiaux de cocaïne, cet Etat est passé du statut de pays de transit de drogue à celui d'important centre de distribution vers l'Europe et les Etats-Unis.
En 2021, les autorités ont mis la main sur une quantité record de 210 tonnes de drogues, principalement de la cocaïne. Depuis le début de l'année, les saisies totalisent 160 tonnes.
J.Fuchs--HHA