Marine Le Pen passe la main à Jordan Bardella à la tête du RN
Jordan Bardella devrait accéder samedi à la présidence du RN, permettant à Marine Le Pen de se concentrer sur l'Assemblée et ses ambitions élyséennes intactes. Mais l'exclusion d'un député RN pour des propos jugés racistes vient perturber l'intronisation attendue.
Le RN semblait rattrapé par ses vieux démons lorsque ses députés, Marine Le Pen comprise, ont été les seuls vendredi à rester assis au moment du vote dans l'hémicycle de l'exclusion temporaire de Grégoire de Fournas, élu de Gironde, après la vague d'indignation suscitée par ses propos jugés racistes.
La stratégie de banalisation du parti, qu'a promis de poursuivre Jordan Bardella, s'en trouve ébranlée. D'autant que le député sanctionné a régulièrement affiché son soutien au candidat.
Initialement pourtant, le weekend devait être l'opportunité d'orchestrer une transition tranquille dans un parti à l'histoire mouvementée. En effet le résultat du vote des adhérents, qui sera révélé samedi matin à la Mutualité à Paris, doit mettre fin à un faux suspense: après trois mois de campagne, nul n'imagine que le président par intérim échoue face à son rival, le maire de Perpignan Louis Aliot.
"La question, c'est l'ampleur de sa victoire", résume un cadre, alors que l'eurodéputé s'est fixé pour objectif d'obtenir au moins 67,65% des voix, le score obtenu par Marine Le Pen face à Bruno Gollnisch pour succéder à Jean-Marie Le Pen il y a onze ans.
Il s'agit pour Marine Le Pen de se libérer des tâches internes parfois ingrates, alors que l'épicentre du RN se trouve désormais à l'Assemblée nationale, où la députée du Pas-de-Calais rayonne sur un groupe de 89 élus et consolide plus que jamais son assise politique et médiatique.
Délestée de l'intendance du RN, notamment de l'épineuse équation financière, elle pourra peaufiner une quatrième candidature à la présidentielle dans cinq ans, que personne dans le parti n'ose remettre en cause.
Jordan Bardella, lui, va devoir trouver sa place, alors que le parti a souvent réservé un sort cruel à ses numéros deux - "le destin de dauphin est parfois de s'échouer", avait résumé en son temps Jean-Marie Le Pen.
Il a pour lui d'avoir connu une fulgurante ascension, entamée en 2019 lorsqu'il avait pris la tête de la liste RN aux Européennes, avant de rafler la présidence par intérim du parti l'année dernière.
- "Créature" -
Originaire de Seine-Saint-Denis, celui qui a fêté mi-septembre ses 27 ans s'est surtout révélé lors de la campagne présidentielle au gré de débats télévisés où son aisance et son habileté ont parfois mis en difficulté des contradicteurs chevronnés.
Populaire auprès de la base militante, M. Bardella loue sa "relation singulière d'une confiance inestimable" avec Marine Le Pen, à qui il jure régulièrement fidélité et loyauté.
Mais il est présenté par certains cadres comme "la créature" de la patronne de l'extrême droite française.
Au-delà de ses propres ambitions, c'est sa ligne, voire ses amitiés politiques que mettent en exergue ses détracteurs, l'eurodéputé étant soupçonné d'accointances avec les "identitaires" et d'une trop grande mansuétude envers ceux qui étaient partis chez Eric Zemmour.
Mi-octobre, son empressement à vouloir participer à une manifestation initiée par Reconquête! après le meurtre de la jeune Lola à Paris - il y a renoncé in extremis - a accentué le trouble: a-t-il le flair nécessaire, quelles sont ses convictions réelles?
Seul édile RN d'une ville de plus de 100.000 habitants, Louis Aliot s'est vite engouffré dans la brèche, fustigeant dans une tribune "les excès pratiqués par le Front national d'un autre temps", les "identitaristes" et, surtout, "les adeptes du +grand remplacement+". Une expression que seul Jordan Bardella a reprise à son compte, en août 2021, quand Marine Le Pen y a toujours opposé une grande circonspection.
Jordan Bardella a reproché dans le JDD "aigreur et mauvaise foi". "C'est qu'il a mal compris", lui a répondu Louis Aliot.
Celui qui a dirigé le Front national de la jeunesse dans les années 90 met en avant son expérience et ses responsabilités d'élu local autant qu'une forme d'ouverture politique - il a recruté un ancien collaborateur du feu leader socialiste Georges Frêche.
Louis Aliot espère pouvoir s'appuyer sur un score correct pour peser dans la prochaine direction.
F.Carstens--HHA